… Et l’Argentine, la Pampa était à gauche

Un médecin de notre connaissance, qui longtemps pratiqua dans la campagne française en pays des bocages de l’Ouest, au très tard soir de sa vie, avait pris l’hardiesse de narrer à sa famille, épouse, enfants, petits-enfants et arrière petits-enfants, qu’il avait voyagé, dans sa jeunesse, vers l’Argentine, ce que tous ses interlocuteurs et interlocutrices lui contestaient vivement, tant, en sa jeunesse de l’entre-deux-guerres, il lui aurait été impossible de se rendre, à l’âge de raison, de l’Anjou à l’Argentine par avion. Et toutes et tous de conclure alors, que le médecin de campagne commençait à perdre la raison, atteint par la sénilité ou la maladie d’Alzheimer, peu importe puisqu’il ne s’agit en vérité, que des effets inéluctables du vieillissement. C’était là ignorer que ces récits de voyages imaginaires qui allaient se multiplier les années suivantes, n’étaient pour le disciple d’Hippocrate qu’emprunter le long Chemin du retour, qui par l’élixir de jeunesse, mène à l’éternel retour qui épouse l’éternité.

Au fil des années, le voyage vers l’Argentine se précisa avec une acuité de plus en plus remarquable. L’avion avait fait escale à Dakar, se posant au Brésil à Natal, avant de longer la côte sans fin et descendre jusqu’à Rio de Janeiro. Bientôt des escales vinrent s’ajouter au récit qui enflammait sa mémoire. Il y était question de Barcelone, Rabat, Casablanca, les Canaries et encore de la Cordillère des Andes après avoir survolé la Pampa, située à gauche au retour de la Terre de feu. On ne savait pas très bien ce que venait faire La Baule dans ce récit héroïque, mais, l’auditoire écoutait religieusement, jusqu’à comprendre que le médecin, qui dans les campagnes visitait ses patients la nuit pour les soigner, évoquait tout simplement le Vol de nuit des pilotes de l’Aéropostale, une aventure qui débuta pendant la Première guerre mondiale par l’ouverture d’une ligne Paris-La Baule pour le transport du courrier des armées coalisées.

Ce qui ressemblait à une confusion mentale, un court circuit de neurones, un effondrement ellipsoïdal de la voie lactée cérébrale, n’était en fait qu’un souvenir de jeunesse lié au choc de la disparition de l’aviateur héroïque Jean Mermoz, le 7 décembre 1936, lorsque le futur médecin de campagne n’avait alors que huit ans. Il ne sera pas conté ici la vie et l’oeuvre de Mermoz qui franchit le premier la Cordillère des Andes en 1929 après avoir ouvert la ligne Buenos Aires  – Rio de Janeiro en 1928. Le 12 mai 1930, il traversa sans escale l’Atlantique sud, d’Est en Ouest, puis en sens inverse de Natal à Saint-Louis du Sénégal, le 15 mai 1933, disparaissant en mer, au large de Dakar, aux commandes de bord de la-Croix-du-Sud, l’unique prototype de l’hydravion Latécoère 300 conçu par le constructeur français d’avions éponyme.

Antoine de Saint-Exupéry qui, un temps, fut élève chez les Jésuites à Sainte-Croix du Mans, entra aussi à l’Aéropostale, ce qui probablement marqua le futur médecin d’autant qu’il entra dans le même collège pendant les années de guerre où l’auteur de Terre des Hommes, Courrier sud, Vol de nuit, la Citadelle ou le Petit prince, était pilote de bombardier à en perdre la vie à l’été 1944, comme son frère d’aventures plus tôt, Jean Mermoz, tous les deux réunis pour toujours dans les eaux séparatrices des continents, que ce soit l’océan ou la mer.

Résultat de recherche d'images pour "la croix du sud avion"

Portrait de jean Mermoz pris avant son dernier envol

Amie lectrice, ami lecteur, ne donnez pas d’importance aux dérives de la mémoire quand le grand âge arrive, laissez les êtres naviguer au plus près  des « petits troubles de la mémoire »   dont il arrive qu’elle emprunte en hydravion le Chemin du retour,  ce ne sont que de simples confusions liées à l’usure inexorable du temps, qui  peuvent épuiser les souvenirs les plus inoxydables, et tels les chênes qu’on abat, transformer les souvenirs de voyages en voyages imaginaires pour devenir un récit légendaire rapporté par Ulysse.

Un Latécoère 290 au-dessus de la baie de Rio de Janeiro

Ulysse ! Ulysse ! Il nous revient à propos d’Ulysse et de l’Argentine, le poème en prose de Benjamin Fondane, commencé en 1929 et sans cesse travaillé jusqu’à sa mort en 1944 en déportation, pour devenir l’un des plus beaux chefs d’oeuvre de la littérature française, écrit par un Juif roumain traqué, devenu Français par la mort, qui un temps voyagea au Chili et en Argentine, survolant déjà par la gauche la Pampa. Il a été écrit par le passé dans ce livre de chroniques, qu’il était temps que les écoliers francophones apprennent des poèmes de cet immense auteur pour l’éternité associé à la langue française, lui, poète moderne de l’Apocalypse digne de ses prédécesseurs Ezéchiel et Jean. Nous lui devons le recueil de poèmes écrit vers 1934, l’Exode, Super flumina Babylonis, qui annonce la déportation des Juifs et dont l’exergue cite Homère : les dieux ont ordonné la mort de ces hommes afin d’être sujets de chants pour les générations à venir.

Résultat de recherche d'images pour "aéropostale pampa"

Pour les générations à venir, Fondane a laissé en 1929, un recueil magnifique consacré à Ulysse, qui nous éclaire sur les voyages imaginaires du vieux médecin de campagne, en vérité, de simples récits liés à sa jeunesse relatant les exploits de l’Aéropostale :

… Et L’Argentine. La Pampa était à gauche.

Cela faisait de la poussière sur les hommes.

Chaque jour je prenais une rue inconnue

Avec l’espoir d’y arriver

Seul le désert avait de quoi calmer ma soif

J’avais besoin d’un monde sans horizon ni fin.

Laurent Albaret on Twitter: "[#avgeek] Le lundi 7 décembre 1936,  l'hydravion #Latécoère 300 « Croix du Sud » se perd dans l'Atlantique, avec  son équipage mené par Jean #Mermoz. Retour sur le

Mermoz ou la légende d’un monde sans horizon ni fin

Cette chronique est dédiée à Jean Garnier, médecin de douze villages de la campagne française dans le Haut Anjou, de janvier 1958 à juin 1994. Jusqu’au dernier jour, il a souhaité confier ses ordonnances et son espérance à l’Aéropostale pour qu’elles traversent l’Atlantique sud, la Cordillère des Andes, puis la Pampa par la gauche, en direction de la Croix du sud, la Croix merveilleuse, aussi connue sous le nom de Crux, la plus petite des 88 constellations de la galaxie, aux abords du pôle céleste sud dont elle indique la direction ; elle est composée de quatre étoiles majeures disposées en croix et visibles dans l’hémisphère austral, mais aussi en hiver et au printemps, aux latitudes tropicales depuis le nord. Et parmi ces Constellations visibles dans la nuit australe,  la Croix du sud donne la direction aux hommes, sur la terre, en mer ou dans le ciel.

undefined

La Croix du sud est utilisée comme aide à la navigation et constitue le symbole de nombreuses nations de l’hémisphère sud, qui l’incluent dans leur drapeau,  tels que l’Australie, le Brésil,  la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou les îles Samoa. 

C’est aussi le nom d’une collection littéraire légendaire fondée et dirigée par Roger Caillois avec l’appui de l’éditeur Gallimard, qui a fait connaître dans le monde entier des auteurs sud-américains tels que Borges, Carpentier, Cortazar, Fuentes, Vargas-Llosa et bien d’autres.

Quand les drapeaux deviennent un véritable cours d’astronomie