Cette assertion, l’éléphant est irréfutable, nous la devons à Alexandre Vialatte, écrivain français du siècle dernier à qui on doit des phrases aussi extraordinaires que : L‘homme aujourd’hui ne descend plus du singe mais de l’avion, affirmation aussi incontestable que : Le bonheur date de la plus haute Antiquité. Il est quand même tout neuf, car il a peu servi… Le bonheur était l’apanage d’un jardinier qui n’avait pas de curiosité et il n’y en a plus que deux. C’est une race disparue (ils ont des rides très compliquées, un peu de raphia qui sort de la poche du tablier, et une chopine cachée à l’ombre). Mais ce ne sont pas des gens heureux : quand il pleut ils veulent du soleil, quand il fait beau ils veulent la pluie. Ils savent très bien que le bonheur c’est ce qu’on n’a pas.
On doit à Alexandre Vialatte d’avoir le premier traduit Franz Kafka et l’avoir fait connaître dans le monde entier, ses traductions ayant été plus tard contestées pour n’être pas assez proche du texte originel, ce qui est une affaire de spécialiste, car pour nous qui ne sommes que simples lecteurs, il faut bien reconnaître que la traduction initiale de Vialatte est enchanteresse, ce qui est là l’essentiel. tout de même. Prenez le premier chapitre du Château de Kafka, comparez les versions, il n’est pas impossible que le lâchage de Vialatte par l’éditeur corresponde à un besoin de protéger ses droits par un tour de passe-passe juridique lié au renouvellement de la traduction.
Pendant près de vingt ans, Alexandre Vialatte, tint une chronique hebdomadaire qui paraissait dans la Montagne, le journal quotidien de l’Auvergne, livrant au total plus de neuf cents articles sur la vie culturelle parisienne. Il était lié de forte amitié avec l’écrivain Henri Pourrat, le natif de la sous-préfecture d’Ambert célèbre pour sa fourme, un fromage bleu de lait de vache. Il prit pour habitude conclure ses chroniques par une phrase devenue célèbre, « Et c’est ainsi qu’Allah est grand« , ce qui aujourd’hui lui vaudrait bien des tracas, alors qu’à l’époque, cela passait inaperçu, en total décalage avec une province aux moeurs immuables dont la caractéristique principale était d’envoyé son charbon et son bois à la capitale, à l’ombre des usines Michelin qui pourvoyait de pneus la France entière en même temps que Bibendum faisait la promotion des cartes et guides touristiques.
Ces chroniques ont donné lieu plus tard à publication sous forme de livres divers dont le Bestiaire, un recueil d’une soixantaine de portraits d’oiseaux, reptiles, insectes et mammifères, dont l’homme, la femme, l’Auvergnat, l’Italien ou le Turc, textes assez désopilants. Ce livre publié en 2002 avait été illustré par Honoré, l’un des dessinateurs décédés le 7 janvier 2015 dans l’attentat de Charlie Hebdo.
Alexandre Vialatte a aussi publié divers romans dont Les Fruits du Congo, un roman nostalgique sur l’adolescence à Ambert, qui raconte la fascination pour l’Afrique de collégiens de cette petite ville d’Ambert, à partir d’une simple affiche destinée à la promotion de l’exposition coloniale de 1931. Battling le ténébreux est un autre roman qui mérite d’être lu, car Vialatte n’est pas qu’un immense chroniqueur ou traducteur, il est aussi remarquable romancier. Quant au roman le Fidèle Berger, il s’agit d’une histoire écrite juste après l’étrange défaite de 1940, à laquelle Vialatte a été confrontée, d’abord mobilisé en 1939 puis fait prisonnier en 1940. L’histoire est celle d’un soldat tombé dans la folie à force de marcher et que seul l’amour qu’il porte à sa femme sauve
Il est encore l’auteur d’un recueil d’articles étonnants parus au début de l’entre-deux guerres sur l’Allemagne de Weimar, les Bananes de Koenisberg. Il est alors en poste comme envoyé spécial en Rhénanie occupée. Il pressent la montée du nazisme en raison des tendances irrationnelles qui se lèvent en Allemagne, conduisant les Allemands à s’en remettre à des sornettes métaphysiques orientales, là où auparavant la rationalité phiposophique toute germanique l’emportait sans contestation possible. Il observe en effet en plusieurs circonstances que dans toutes les couches de la société, les allemands s’en remettent aveuglément aux gourous de toutes sortes, ce qui les conduira ultérieurement à confier le pouvoir suprême au pire des gourous.
Pour lui rendre hommage, à lui qui affirmait que l’éléphant est irréfutable, ce qui est incontestable, à défaut de disposer du talent d’Honoré aujourd’hui irréfutablement disparu, nous avons souhaité nous en remettre à quelques clichés nostalgiques d’un monde colonial tout aussi disparu, celui des chasses aux tigres par des maharadjahs perchés sur des éléphants.
Que ce soit aussi l’occasion de faire connaître quelques aphorismes de Vialatte, un exercice où il excellait :
L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau.
Rien n’arrête le progrès. il s’arrête tout seul.
Sauf erreur, je ne me trompe jamais.
la mort n’a généralement pas d’amis sincères.
Alexandre Vialatte nous a quitté en 1971 nous laissant orphelin de son humour et son goût pour les traductions des plus grands auteurs allemands tels que Goethe, Thomas Mann, Nietzsche ou Brecht. Il demeure cependant plus de treize volumes de chroniques publiés dans diverses maisons d’édition à compter de 1985, soit quinze ans après sa mort, ce qui prouve que la postérité n’attend pas le nombre des années.