Vu de Vieux-Fort, au sud de la Basse-Terre, l’archipel des Saintes ressemble à des cailloux dispersés sur la mer pour délimiter la passe et permettre aux concurrents de la route du Rhum de franchir le dernier obstacle marin avant l’arrivée à Pointe-à-Pitre après 6.500 km de traversée depuis le départ de Saint-Malo. Même lorsque le temps est clément, les courants restent forts et il est conseillé aux navigateurs de rester vigilants, surtout la nuit pour éviter de se perdre sur les récifs des Saintes en cas d’avarie, ce qui reconnaissez-le, serait bien ballot. Et pourtant, c’est déjà arrivé ! Autant se contenter de prendre l’avion et louer un bateau, c’est plus sûr.
Avec Terre-de-Bas, Terre-de-Haut est l’une des deux îles habitées de ces neuf petits cailloux enchanteurs que les Anglais n’ont cessé de disputer aux Français depuis près de quatre siècles : l’escadre de l’amiral de Grasse y subira le 12 avril 1782, l’une de ces défaites navales vexantes qui font que la marine nationale garde un complexe dès qu’il s’agit de se battre sur mer avec les Anglais. Heureusement, cette habitude s’est perdue depuis que les Britanniques sont devenus nos alliés traditionnels depuis plus d’un siècle, ce qui évite désormais qu’ils nous envoient régulièrement, de façon inélégante, notre flotte par le fond.
Quand on regarde l’histoire des Saintes, on se demande bien pourquoi cet archipel est resté Français. Les Anglais n’ont cessé de l’envahir, de l’occuper et de nous le rendre, ce qui permet à Napoléon d’y conserver les vestiges d’un fort qui avait été construit pour s’appeler initialement le fort Louis en l’honneur d’un roi Bourbon. Les Bourbons y sont si peu aimés qu’on y préfère le rhum soit-dit en passant, et plutôt le Bologne fabriqué à Basse-Terre, le chef-lieu du département de la Guadeloupe où les enfants des Saintes vont poursuivre leurs études au lycée. Car avec 3.000 habitants pour l’ensemble de l’archipel, les Saintois comme les Marie-Galantais sont confrontés aux handicaps de de la double insularité qui rendent la vie quelque peu difficile pour les habitants permanents.
Que dire des Saintes qu’on ne sait déjà ? La rade est magnifique, c’est certain. Le Saintois est excellent pêcheur, c’est aussi certain. Il a même inventé un bateau qu’on appelle la saintoise. La rade dispose d’un « Pain de sucre » qui culmine à 53 mètres d’altitude ce qui est certes beaucoup moins que le mont du Pain de sucre de Rio de Janeiro à près de 400 mètres d’altitude et où un téléphérique y a été installé ce qui n’est pas encore le cas aux saintes. En revanche, le morne du Chameau dépasse les 300 mètres d’altitude, ce nom ayant été donné au sommet non pas parce qu’on y aurait vu un cousin du dromadaire mais parce qu’il existe deux monts qui ressemblent à deux bosses.
Le charme des Saintes n’est pas simplement lié au fait qu’il existe neuf îles où se réfugier, et que la vie y est plus que calme et tranquille sauf le 15 août jour de fête locale pour rappeler le souvenir de la seule victoire navale de la France sur l’Angleterre, le 4 août 1666, et encore parce qu’un cyclone dispersa l’escadre britannique avant l’affrontement qui n’eut pas lieu. Le charme de l’archipel provient de l’exceptionnelle lumière qui éclaire les lieux, de l’aube au crépuscule, et même après la tombée de la nuit lorsqu’on aperçoit au lointain les lumières des côtes de la Guadeloupe.
Certes les îles de l’archipel sont belles. Mais comment passer le temps si on ne fait pas de navigation côtière faute de voilier ? Deux solutions se présentent. On y vient pour la journée, par vedette maritime de Pointe-à-Pitre ou Trois-Rivières ou plus rarement par avion, de moins de vingt places. Après avoir visité le bourg à pied, on fait le tour de l’île en vélo, motocycle ou scooter, et l’on choisit alors l’une des nombreuses plages parmi les plus belles de l’archipel guadeloupéen, que ce soit la plage du Pain de sucre, celle du Figuier, ou encore Pompierre, elles sont paradisiaques pour reprendre l’expression des guides touristiques qui s’emballent à la vue d’un cocotier ou d’une crique.
La seconde solution est d’y séjourner une nuit ou deux, d’y passer le week-end ou les fêtes de fin d’année comme le font de nombreux Guadeloupéens qui viennent chercher la tranquillité. Le premier hôtel à Terre-de-Haut a ouvert seulement en 1966 et ils ne sont guère nombreux, cinq ou six, avec peu de chambres chacun, un douzaine au plus : hôtel de Bois Joli, hôtel de Kanaoa, l’Anse figuier, hôtel des Petits saints ou Lô bleu hôtel conseillé pour des raisons littéraires. Ils sont pour la plupart les pieds dans l’eau. En fait, côté résidence, la plupart des touristes choisissent la formule des gîtes car toutes les familles saintoises ou presque se sont lancées dans la construction de chambres et gîtes ce qui n’empêche pas qu’il est parfois difficile de se loger, le 15 août ou à Noël.
Amie lectrice, ami lecteur, sachez-le, vous n’êtes pas les seuls à vouloir vous rendre aux Saintes. Chaque année, 350.000 à 380.000 personnes veulent vivre l’expérience paradisiaque des Saintes, ce en quoi ils ont bien raison. Les Saintes, c’est comme Marie-Galante, c’est inoubliable, bien autre chose que Cannes, Saint-Tropez, Biarritz ou la Baule. Il n’y a rien à y faire à part le tour de l’île et se baigner avec les crabes de terre qui ont peur de l’eau, c’est déjà beaucoup.
Car une fois la nuit tombée et au-delà de vingt heures, il ne se passe plus rien, ce qui conduit en passant, à conseiller d’aller dîner très tôt, vraiment très tôt, sauf à trouver porte close dès vingt heures ou presque. Et l’heure du dîner passée, on n’entend plus que les grillons et les crabes de terre, sans oublier les coqs peut-être moins nombreux que les Saintois mais bien plus occupés à chanter au milieu de la nuit alors que le Saintois pêche en toute discrétion. On croyait pouvoir se remettre de la goguette visite du fort Napoléon dédié désormais à une muséographie des traditions de l’île ; et bien pas du tout, les coqs veillent éveillés sur votre sommeil, des fois qu’un nouveau tremblement de terre viendrait secouer l’île comme le 21 novembre 2004, au petit matin, de magnitude 6,3 ce qui non seulement secoue mais détruit. Car l’ennui avec les séismes, c’est qu’il ne préviennent pas et qu’il faut bien vivre avec.
Pour vivre avec les séismes, il faut en fait bien vivre sans se soucier du lendemain. L’art de vivre aux Antilles est d’abord celui d’apprendre à vivre avec le malheur, le sort, le destin qui frappent à tout moment, séisme destructeur, cyclone dévastateur, volcan qui se réveille, pêcheurs qui ne reviennent pas. Quoi de mieux que le rhum Bologne, la fierté de la région basse-terrienne, les accras, les langoustes grillées, les gambas et quelques fortifiants à base de gingembre, ananas, goyave et maracudjas, sans oublier un ultime cocktail avant de s’envoler en Twin Otter ou grimper dans une saintoise à la recherche de la dernière langouste ?
Survoler les Saintes, mettre les pieds sur le débarcadère de Terre-de-Haut, admirer la rade du haut du fort Napoléon sont autant d’expériences uniques qui justifient largement de s’y rendre. C’est autrement plus envoûtant que de prendre le péage de l’île de Ré ou de faire le tour de l’île d’If. Pour celles et ceux qui n’auraient pas la chance de s’y rendre, il reste la possibilité de séjourner à l’île de Sein ou Ouessant, Belle-île étant trop grande, pour comprendre ce que sont les Saintes, d’autant que les îles bretonnes et l’archipel des Saintes ont un point commun.
Les Saintes sont en effet peuplées de descendants bretons, Terre-de-Bas étant plutôt habitée par des Antillais de souche tandis que Terre-de-Haut est plutôt peuplée d’Antillais de souche bretonne ou l’inverse car on s’y perd dans les souches qui sont le cadet de nos soucis. En revanche, à la différence des îles bretonnes, on y croise aussi ce qui fait la fierté des Saintois, leur emblème, des iguanes, et des iguanes en nombre. Ils n’aiment rien tant que de se dissimuler dans les fourrés, lézarder au soleil sur une branche se promener comme un saurien au milieu de la route : l’iguane est le véritable et vénérable patron des Saintes.
On ne peut pas conclure une chronique sur les Saintes sans faire référence aux tourments exquis, et plus précisément au tourment d’amour, la spécialité pâtissière locale, seconde fierté des Saintois après l’iguane sacré. C’est un peu leur pithiviers, sauf qu’il s’agit d’une génoise fourrée à la noix de coco, qui demande un quart d’heure de préparation et une demi-heure de cuisson. Avec des oeufs, du sucre, de la farine, un peu de pâte brisée, de la confiture de noix de coco et de l’essence de vanille, on a vite fait de requinquer le pêcheur saintois et de bourrer le touriste de satisfaction sucrée, c’est délicieux et traditionnel comme le disent tous les sites de cuisine collaboratifs qui font perdre le charme de la cuisine en dévoilant des secrets ancestraux.
Peu importe, le tourment d’amour ne s’apprécie qu’aux Saintes et nulle part ailleurs, car comme le roquefort ou le bleu d’Auvergne, les tourments ne s’exportent pas. A propos d’Auvergne, Vialatte a écrit qu’en Auvergne, on produit des ministres, des fromages et des volcans. Et bien, aux Saintes, on produit des miss, des tourments et du Pain de sucre. Car, figurez-vous, plus encore que la rade ou le tourment, ce qui fait la réputation des Saintes, ce sont les Saintoises, non pas les barques mais ces jolies filles que tout homme aimerait prendre dans les mailles de son filet. Comme dit le proverbe, pour nous qui découvrons les saintoises, plus encore nous apprécions les Saintoises. Mais lesquelles préférer des barques ou des filles ? Les deux, mon capitaine.
La rade des Saintes figure parmi les plus belles du monde. En plus, on y trouve des Bretons sans Bigoudens.