Le Saint-Sépulcre vu de la terrasse du couvent des Maronites (à gauche : les dômes de la basilique et du martyrium ; clicher en cours de rénovation ; photo prise en octobre 2005)
Dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, Chateaubriand raconte en ces termes sa visite au Saint-Sépulcre en 1806, alors que Napoléon l’emporte à Iéna sur la Prusse :
“Les premiers voyageurs étaient bien heureux; ils n’étaient point obligés d’entrer dans toutes ces critiques: premièrement parce qu’ils trouvaient dans leurs lecteurs la religion qui ne dispute jamais avec la vérité; secondement, parce que tout le monde était persuadé que le seul moyen de voir un pays tel qu’il est, c’est de le voir avec ses traditions et ses souvenirs. C’est en effet la Bible et l’Evangile à la main que l’on doit parcourir la Terre-Sainte.”
“Les lecteurs chrétiens demanderont peut-être à présent quels furent les sentiments que j’éprouvai en entrant dans ce lieu redoutable; je ne puis réellement le dire. Tant de choses se présentaient à la fois à mon esprit, que je ne m’arrêtais à aucune idée particulière. Je restai près une demi-heure à genoux dans la petite chambre du Saint-Sépulcre, les regards attachés sur la pierre sans pouvoir les en arracher […] l’orgue du religieux latin, le cymbales du prêtre abyssin, la voix du caloyer grec, la prière du solitaire arménien, l’espèce de plainte du moine cophte, frappent tour à tour ou tout à la fois votre oreille; vous ne savez d’où partent ces concerts; vous respirez l’odeur de l’encens sans apercevoir la main qui le brûle: seulement vous voyez passer, s’enfoncer derrière des colonnes, se perdre dans l’ombre du temple, le pontife qui va célébrer les plus redoutables mystères aux lieux mêmes où ils se sont accomplis.”
Deux siècles plus tard, il n’y a rien à changer ou presque à la description faite par Chateaubriand de ce lieu redoutable aux redoutables mystères. Les religieux et prêtres arméniens, abyssins, coptes, grecs, syriaques et latins sont toujours là ; ils vont et viennent dans l’ombre au milieu de chants plus cacophoniques que dodécaphoniques, dispersant de l’encens en chapelles pour éloigner les arômes de myrrhe ardente des communautés proches.
Et si vous me demandez quelle est la différence entre le Mur des Lamentations, la mosquée d’Omar et le Saint-Sépulcre, c’est en fait assez simple. Pour faire réducteur, le Mur est constitué de pierres de consolation, qui sont les ultimes vestiges d’un peuple dispersé ; la mosquée est une construction orgueilleuse, édifiée autour de la Pierre de fondation ; et le Saint-Sépulcre, un tombeau érigé sur le lieu même des derniers moments de la Passion du Christ, qui recouvre trois scènes distinctes, là où se trouvent l’élévation sur la croix, la déposition sur une pierre et la résurrection, simple vision du tombeau ouvert dont il sort vainqueur le jour de Pâques. Elévation vers Dieu lors de la crucifixion, achèvement du parcours terrestre du Fils de l’Homme et nouvelle naissance en l’Esprit, le Saint-Sépulcre est un linceul de pierres symbolisant l’église des origines, lorsque la Sainte Trinité s’incarne en pierres de culte pour devenir l’église des Vivants.
Rien ne sert de chercher à faire preuve d’ambitions historiques, archéologiques ou théologiques, il est bien plus préférable de vous inviter à consulter deux sites utiles et sérieux pour découvrir le Saint-Sépulcre.
Le premier est une série de chroniques archéologiques publiées sur le site http://www.interbible.org, par le professeur de l’université de Montréal Guy Couturier qui nous fait explorer toute la complexité de l’histoire du site architectural du Saint-Sépulcre édifié sur le lieu même de la crucifixion du Christ appelé Golgotha en araméen (« le crâne ») et qui se trouvait alors, hors les murs de la ville. http://www.interbible.org/interBible/decouverte/archeologie/1999/arc_990305.htm
Le second est réalisé par les Franciscains qui ont reçu en 1342, du pape Clément VI, la garde des Lieux Saints. Les moines franciscains sont présents en Terre Sainte depuis 1335 ; ils occupent au Saint-Sépulcre la chapelle de l’Apparition de Jésus ressuscité à sa mère ainsi que la chapelle des Francs. Cette antériorité certaine dans les lieux est un gage de sérieux, comme en témoignent les fouilles archéologiques longtemps menées par le père Corbo au nom de l’ensemble des églises occupant les lieux. http://www.saintsepulcre.custodia.org/default.asp?id=4214
Pour en revenir à la basilique, dès la mort du Christ, le jardin de Joseph d’Arimathie où se trouvait le tombeau du Christ est devenu un lieu de pèlerinage que l’empereur Hadrien tenta d’empêcher en construisant un temple dédié à Vénus. Hélène, la mère de l’empereur Constantin le Grand, entreprit des fouilles au 4ème siècle et y construisit une église. Celle-ci est devenue un martyrium, comme le montre le plan ci-dessous datant du moyen-âge : la rotonde est alors constituée de cinq enceintes circulaires.
Le martyrium fut partiellement détruit en 1009 par le calife Hakkim. Les croisés ayant conquis Jérusalem en 1099, un nouvel édifice fut reconstruit qui est à peu près celui que nous connaissons aujourd’hui, même s’il connut de nombreuses vicissitudes (tremblements de terre, incendies…) et des ajouts successifs comme le montre les plans ci-après.
Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, l’occupation de l’édifice du Saint-Sépulcre est régie par un statut qui attribue à chaque église chrétienne un « territoire » et fixe des règles de vie commune pour empêcher les disputes incessantes qui conduisaient à solliciter, fort curieusement, le représentant du sultan ottoman pour y mettre fin. C’est ce dernier, lassé de tous ces conflits pouvant prendre la forme de violences physiques, qui imposa ce statut et confia les clefs de la basilique à deux familles musulmanes « neutres ». C’est en ces circonstances que les malheureux éthiopiens se sont retrouvés expulsés sur le toit du Saint- Sépulcre.
Et encore, question querelles entre églises au Saint-Sépulcre, on revient de loin ! Le partage des lieux est intervenu entre églises catholiques, apostoliques et orthodoxes. Les protestants ont toujours été tenus à l’écart ; ils ont leurs lieux de culte à Jérusalem en dehors du Saint-Sépulcre, comme, par exemple, l’église luthérienne allemande proche de la basilique, dont la construction en belles pierres blanches remonte au dix-neuvième siècle.
Bien que longue de 140 mètres environ, large en moyenne de 40 mètres et disposant d’une coupole d’une hauteur supérieure à 20 mètres, le plus déconcertant dans cette basilique est son absence de visibilité extérieure. On s’en approche sans la voir ou presque et on peut ne pas trouver son accès tant l’église est enserrée au milieu des ruelles du quartier chrétien de la vieille ville. L’une de vues les plus belles sur la rotonde est assurément du toit où se trouve le monastère éthiopien.
A l’entrée principale, le clocher de la basilique est une tour carrée massive, constituée de très belles pierres. Elle comporte quatre étages au lieu de six autrefois. Depuis quand , je n’en sais rien, et c’est d’ailleurs sans importance. Car en cet instant, l’essentiel est que cette tour carrée soit là devant nos yeux, qu’elle ait survécu aux outrages du temps. Observons le clocher au lieu de se poser des questions inutiles sur la date de construction ou ses modifications. A force de vouloir tout savoir, on finit par en perdre le sens commun. La beauté est dans ce qui existe et non ce qui n’est plus, en l’occurrence dans cette chose constituée de quatre étages qui sont là devant nous. Et moquons nous des deux autres étages disparus, ils n’avaient qu’à rester debout, après tout. Nous ne sommes pas redevables de leur effacement du paysage. Nous devons seulement veiller à ce que les quatre étages qui nous contemplent demeurent pour que nos successeurs les voient comme nous, actuellement, nous les voyons.
La porte principale d’accès à la basilique emprunte l’un des deux portails de la façade sud, le second portail étant muré. Depuis quand, me demanderez-vous ? je n’en sais rien. Posez-la question au guide, je ne suis pas là pour le remplacer. Ou allez chercher sur internet si cela vous chante.
En attendant de revenir avec la réponse, de notre côté on découvre au premier étage, au rebord d’une fenêtre, l’échelle inamovible. Cette petite échelle, oubliée par un maçon paraît-il, est restée là depuis le milieu du dix-neuvième comme un symbole des divisions entre les six communautés religieuses se partageant les lieux depuis 1852 : les coptes, les syriaques orthodoxes, les grecs orthodoxes, les arméniens apostoliques, les éthiopiens orthodoxes et les catholiques romains.
Et encore, heureusement que ni l’église ukrainienne uniate ni celle russe orthodoxe n’ont été invitées au festin du partage ! Comment éviterions-nous en ce moment les poursuites à coups d’encensoir, sous les arches de la Vierge Marie ?
Pour revenir à l’entrée principale, à droite, en haut des marches, se trouve la chapelle dite des Francs, dont le véritable nom est la chapelle Notre-Dame des Sept douleurs. Juste derrière, se trouve l’autel du Calvaire édifié au-dessus du Golgotha. Comme nous le verrons en visitant l’intérieur, le mètre carré s’y fait rare.
Pour terminer la visite extérieure de la basilique, voici deux photographies prises dans le quartier chrétien qui montre d’une part à quel point la basilique est enserrée dans les rues, d’autre part la belle unité des façades environnantes, construites en pierres de taille dite de Jérusalem. Sous le soleil, les rues n’en sont que plus belles. Et l’intérieur de la basilique en devient , plus encore, un lieu redoutable aux mystères redoutables.
Méditons pour conclure cette phrase de Chateaubriand :
le seul moyen de voir un pays tel qu’il est, c’est de le voir avec ses traditions et ses souvenirs
Cela est vrai de Jérusalem, comme de Rome ou de Paris. Mais qu’adviendra-t-il, pauvres de nous, si nous perdons nos traditions et oublions nos souvenirs ?