A l’automne dernier, j’ai eu la possibilité de me rendre à Sachsenhausen visiter le mémorial et le musée établis par les autorités fédérales sur les ruines du camp de concentration de sinistre mémoire. Il faut saluer cette initiative d’offrir à la population allemande, et plus particulièrement à la jeunesse, ce parcours sur les décombres de cette terreur qui emporta tout un peuple dans une fureur criminelle sans égale entre 1933 et 1945. Cet effort constant de mémoire douloureuse est à mettre à l’acquis des dirigeants successifs de la République fédérale d’Allemagne devenue l’Allemagne réunifiée le 3 octobre 1990, moins d’un an après la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989.
Avec cet article, débute une série de reportages consacrée à l’histoire des mentalités de l’Allemagne nazie et à la destruction des populations juives d’Europe qui reste, soixante-dix ans après la libération des camps de concentration et d’extermination, une énigme liée à la montée irrésistible de l’antisémitisme dans l’entre-deux-guerres, sous la maléfique incitation des dirigeants nazis.
Ce travail de mémoire s’inscrit dans le cadre plus large de la dénonciation de tous les crimes perpétrés par les systèmes d’exploitation et d’annihilation qui conduisent à la destruction de populations entières, que ce soit l’esclavagisme ancien ou moderne, les camps de travail tels que ceux du Goulag ou encore les génocides commis sur les Arméniens, les Juifs et Tziganes, ainsi qu’au Cambodge ou au Rwanda par exemple. Il faut regarder en face ces crimes de masse et demeurer vigilants, car si nous n’y prenons garde, rien n’empêchera que de telles violences sociopathes ou psychopathes ne se renouvellent. Seules les démocraties sont en mesure d’intervenir pour empêcher énergiquement la résurgence de ce qu’il faut bien simplement appeler des crimes contre l’humanité qui, visant des populations spécifiques, nous engagent tous, que nous le voulions ou pas, par activisme et militantisme pour certains, par passivité et indifférence pour le plus grand nombre.
A cet égard, la Cour pénale internationale (CPI) doit continuer de jouer un rôle particulièrement important pour dissuader les gouvernements criminels d’entreprendre les actes les plus innomables.
http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/ICC/Pages/default.aspx
Avant de commencer ces reportages, qu’il me soit permis de remercier la direction de la Commission d’indemnisation des victimes des spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation (CIVS) et le directeur du mémorial et muséum de Sachsenhausen, le professeur Dr Gunther Morch, un homme d’une très grande qualité qui met toute son intelligence et son ardeur à faire connaître les actes criminels, destructeurs et exterminateurs alors intentés par les nazis. http://www.stiftung-bg.de/gums/en/
Le camp de concentration de Sachsenhausen est en limite de la ville d’Orianenburg-Sachsenhausen, une petite ville allemande si tranquille, avec son bourg et son magnifique château, située à 35 kilomètres au Nord de Berlin, dans la province du Brandebourg. D’ailleurs, de la porte de Brandebourg, en plein centre de Berlin, jusqu’à Orianenburg, il faut moins de 45 mn pour s’y rendre par un train direct .
La ville d’Orianenburg, alors dénommée Botzöw, a été fondée au 12ème siècle au milieu des forêts brandebourgeoises, sur les bords de la rivière Havel, un affluent de l’Elbe qui mène vers la mer du Nord, en reliant l’Europe centrale, du mont des Géants en République Tchèque et Dresde, à Hambourg, principal port d’Allemagne.
La situation géographique et la beauté des lieux ont conduit Louise Henriette d’Orange-Nassau (Orianen-Nassau), épouse de Fréderic Guillaume roi de Prusse, Electeur de Brandebourg, surnommé le Roi soldat, à construire un château de style allemand au bord de la rivière en 1650, la ville prenant alors le nom du château, Orianenburg.
Le parc du château, vaste et bien proportionné, agréable à visiter est réputé.
La construction du château ne transforma pas le caractère tranquille de cette petite ville du Brandebourg. Tout y respire, aujourd’hui encore, la douceur et le bonheur de vivre comme en témoignent les photographies ci-après.
C’était sans compter sur l’arrivée au pouvoir d’Hitler le 30 janvier 1933, qui va radicalement transformer le destin de cette ville allemande si tranquille, alors peuplée de 15.000 habitants. L’une des premières décisions prises par le pouvoir nazi est de confier à Ernest Roehm et ses sections d’assaut (SA), d’ouvrir des camps de concentration pour y détenir les opposants et ennemis du régime, l’un près de Munich, à Dachau, l’autre à Orianenburg, à proximité immédiate de la capitale Berlin.
Le vaste château d’Orianenburg et son parc immense étaient en effet tout destinés pour accueillir provisoirement les nombreux détenus issus des arrestations menées tambour battant par les nouveaux gouvernants : dès le 12 mars 1933, le camp de concentration ouvrait, quarante jours après l’arrivée au pouvoir du Führer et de ses proches, dont, au premier rang Roehm, l’ami et allié de toujours, l’organisateur forcené du désordre et du coup de poing dans les rues, sans qui Hitler ne serait probablement jamais devenu chancelier du Reich.
Ouverture du camp de concentration d’Orianenburg, le 12 mars 1933, par les gardes des sections d’assaut (SA) dirigées par Ernst Roehm.
En même temps que se jouait ainsi le sort de la petite ville tranquille d’Orianenburg, c’est tout le destin de l’Allemagne, puis de l’Europe et du monde qui basculait dans l’horreur et la terreur pour les ennemis du peuple tout désignés par les nouveaux maîtres de l’Allemagne et leurs chiens de garde : opposants politiques démocrates chrétiens, socialistes ou communistes, croyants rebelles tels que les Témoins de Jéhovah objecteurs de conscience, homosexuels, Tziganes ou Juifs.
Dans cet univers impitoyable, le camp d’Orianenburg-Sachsenhausen allait tenir un rôle primordial pendant toute la décennie qui allait suivre.
Détenus du camp d’Orianenburg lors de l’appel du matin, dans la cour du château en 1933, (Archives de la Bundestag, Berlin, Allemagne)