La chanson de l’émigrant, de Benjamin Fondane

Tableaux 63

Qui a lu « la Chanson de l’émigrant » au fond de la salle ? Personne ? Normal. L’éducation nationale propose en lecture à nos enfants de sympathiques chansons du gars qui fait rimer pruneaux d’Agen et confits de canard. Mais le monde est tout sauf sympathique. Il est cruel.

Une prochaine fois, recherchez sur vos tablettes, nous parlerons de Benjamin Fondane, il a écrit des recueils de poésie intitulés Ulysse, le Mal des fantômes, Titanic, l’Exode, Au temps du poème. Cela ne rigole pas, vous me dites. Et c’est vrai. Cet écrivain roumain francophone, disciple de Léon Chestov, émigré en France, s’est engagé dans l’armée française : il a, en 1940 combattu ; dénoncé par des voisins à la Gestapo, parce que juif, déporté à Auschwitz, il est mort à Birkenau le 3 octobre 1944. Il nous laisse parmi les plus grands poèmes de de la langue française du vingtième siècle, celui-ci :

– Mon père qu’as tu fait de mon enfance ?

Qu’as tu fait du petit marin au regard bleu

J’étais heureux, heureux parmi ces malheureux

le poivre rouge c’était si nouveau !

Plus tard j’ai vu Charlot et j’ai compris les émigrants

Plus tard, plus tard moi-même

Emigrants diamants de la terre, sel sauvage,

je suis de votre race,

j’emporte comme vous ma vie dans ma valise,

je mange comme vous le pain de mon angoisse,

je ne demande plus quel est le sens du monde,

je pose mon poing dur sur la table du monde,

je suis de ceux qui n’ont rien,

qui veulent tout

– je ne saurai jamais me résigner.

 

Et bien, moi, je vous dis : rien ne sert de s’indigner, il ne faut pas se résigner. Il suffit d’ouvrir les yeux et de poser durement le poing sur la table du monde, la vie est belle. En avant, Marche.