A La Couarde, en pays huguenot

Rebondissant sur une proposition aventureuse de l’auteur virtuel d’écrire sur n’importe quel sujet qui lui serait proposé par une lectrice ou un lecteur, une jeune Africaine lui a demandé ces temps derniers d’écrire quelque chose sur un minuscule village où les habitants ne se bousculent plus trop, et dont il ignorait absolument tout voilà encore quelques jours, jusqu’à l’existence du patelin où cette jeune personne vécut deux ans pour mener dans une ville voisine ses études secondaires.

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Melle, dans les Deux-Sèvres, est plutôt un gros bourg qu’une ville, rassemblant quatre mille âmes autour de trois églises de toute beauté dont l’une, Saint-Hilaire, est classé au patrimoine mondial de l’humanité en tant qu’étape des chemins de Compostelle en France.

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 Saint Savinien est l’une des trois églises romanes de Melle, avec Saint Hilaire et Saint Pierre

Mais foin des diversions, il ne s’agit pas d’évoquer dans cette chronique le bourg de Melle mais le village de la Couarde dans les Deux-Sèvres, qui n’est pas la Couarde-sur-Mer à l’île de Ré, autrement plus connue. Pour donner quelques indications, La Couarde est située à mi-chemin, 14 kilomètres pour être précis, de Melle et de Saint-Maixent-l’Ecole, cette dernière ville étant célèbre pour posséder dans ses murs l’école nationale des sous-officiers d’active de l’armée de terre, qui a formé 120.000 sergents et maréchaux-des-logis depuis sa création, rien moins, l’école accueillant en permanence 1.600 futurs sous-officiers.

Mais, revenons à La Couarde. le village comptait plus de 500 habitants en 1901 et encore 410 habitants après la seconde guerre mondiale. L’exode rural a réduit la population a 300 habitants en 1975, qui ne sont plus que 260 en 2012, autant dire que sur une superficie de 14 km², la densité de population est faible, à peine 16 habitants au km², de quoi passer ses journées à jouer au loup sans même se rendre dans la forêt domaniale de l’Hermitain, grande de plus de 600 hectares, « au pays des sources et des gués, sur les chemins creux bordés de pierres sèches« , au coeur du Poitou huguenot, au pays Pelebois, là où l’on peut apercevoir des châtaigniers sur terres rouges et des chênes tels que « le Patriarche » ainsi baptisé par les enfants de l’école de la Couarde, d’une circonférence de 5,26 mètres et 30 mètres de haut aux dernières nouvelles,  ou celui de « la Pierre au Diable ».

A proximité, se trouve le site légendaire de la dame de Chambrille, un rocher situé à l’Est de la forêt de l’Hermitain, La Couarde se trouvant près du Val de Sèvre niortaise qui de la Crèche à la Mothe-Saint-Heray en passant par Saint-Maixent, fourmille de lieux de promenades où découvrir aumôneries, prieurés et pont romain, ruisseaux, châteaux et villages pittoresques sans compter le Puy d’Enfer, un site naturel  constitué de cascades, gouffres et murs rocheux, ainsi que la vallée des Grenats abritant un gisement de pierres semi-précieuses, sans oublier La Couarde et ses Huguenots.

Car nous y voilà, enfin un sujet d’importance à traiter à propos de la Couarde : les guerres de religion. La Couarde fut en effet un centre protestant important du Poitou et un refuge de Huguenots ; et on n’y fête pas que les champignons, on se souvient des horreurs des guerres de religion, comme en témoigne cette remarquable conférence d’histoire donnée  en 1932 par le pasteur Jean Rivierre accessible sur le site de la commune de La Couarde, Lacouarde79.fr

Ce lavoir situé à La Couarde témoigne  d’une ruralité disparue ; ce ne sont pas les femmes qui s’en plaindront.

Lors de cette conférence, le pasteur Rivierre évoqua les persécutions des Protestants par l’armée catholique royale, après avoir rappelé ce que nous, hommes d’aujourd’hui, avons oublié : connaître les hommes du passé, et surtout ceux qui ont vécu là où nous vivons, travaillé où nous travaillons, prié où nous prions, c’est agrandir notre famille, c’est élargir notre horizon, c’est enrichir toute notre vie, c’est bien réellement, nous emparer d’un trésor qu’il serait navrant de laisser perdre.

Ayant évoqué les sources toponymiques des différents lieux et résumé en quelques paragraphes trente siècles d’histoire locale, le pasteur Rivierre en vient au coeur de son sujet, les persécutions religieuses entre 1685 et 1785 en Poitou huguenot dont la couarde est l’un des principaux centres actifs. Pour nous qui avons tout oublié de ces histoires d’une fâcheuse violence alors que nous prétendons avoir toujours été civilisés, le pasteur Rivierre mentionne tout d’abord comment notre histoire est bâtie : votre paroisse, autrefois comme aujourd’hui, était complètement rurale. Et je vous rappelle, pour m’en indigner avec vous, le peu d’intérêt qu’on accordait jadis à un population rurale. Ce qui comptait c’étaient les familles nobles, c’étaient les prêtres et les moines, à toute rigueur, les bourgeois des villes et des bourgades. Ceux-là seuls ont laissé une trace dans l’histoire. Tous les autres étaient roturiers, manants et vilains, indignes qu’on s’occupe d’eux et qu’on garde le moindre souvenir de leur vie. De là provient la profonde obscurité qui s’étend sur presque toute l’histoire de la paroisse de Goux [ La Couarde, ndlr], dépourvue de bourgs et de bourgeois, dépourvue de couvents et de moines, très mal fournie en familles nobles, et située à l’écart des grands chemins…

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Pont des Touches à Thorigné au cœur du pays huguenot poitevin

Il n’empêche que le fait d’être à l’écart des grands chemins n’a pas empêché La Couarde de se retrouver au coeur des persécutions religieuses destinées à arracher aux Protestants leur foi religieuse qu’ils avaient embrassée au temps de la réforme, le bourg étant alors entièrement huguenot à l’exception de deux ou trois familles catholiques.

Plus de 200.000 Huguenots s’exilèrent hors de France de 1560 à 1760 pour rester fidèle à leur foi  tandis qu’un million se convertissaient à la foi catholique sous la contrainte (les Nouveaux convertis) continuant pur certains de pratiquer clandestinement dans les assemblées du Désert

Aujourd’hui plus que jamais, il faut lire ce récit du pasteur Riviere écrit en 1932 par un homme libre.  Tout ce qu’il nous raconte des dragonnades dans le Poitou à la fin du dix-septième et au début du dix-huitième siècle est l’histoire de crimes d’Etat,  tirs sur la foule, arrestations arbitraires, torture, pendaisons, fusillades. Ces massacres ne sont pas sans rappels  ce qui se  passe aujourd’hui en terres d’Islam. Le déchaînement de la persécution et des abjurations entraîne des départs en exil, ce que les Protestants vont appeler « le Grand refuge »  Pour ceux qui restent, à leurs risques et périls la foi huguenote couve sous la cendre et les assemblées du Désert vont durer dans la paroisse de La Couarde pas moins de 215 ans, à l’image  de l’Assemblée du Désert en pays cévenol, dont il demeure le souvenir à travers le Tableau de Mialet, au musée du Désert: « Souviens-toi de tout le chemin que l’Éternel ton Dieu t’a fait parcourir pendant ces quarante années dans le désert… » (Deutéronome 8,2)

Le « Grand Refuge » va bouleverser les équilibres sociologiques en Europe comme une notice du  Musée  protestant l’évoque : les élites françaises quittent le royaume de France qui va s’appauvrir intellectuellement et économiquement tandis que les pays européens qui accueillent  s’enrichissent du savoir-faire de ces nouveaux arrivants, que ce soit au Pays-Bas, en Prusse,  Angleterre et même en Russie qui compte une colonie française forte de 20.000 homme.

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Pour faire face à cette hémorragie humaine, le Roy de France renforce la répression et la surveillance aux frontières : Plus de 100 000 personnes ont franchi les frontières entre 1685 et 1687. Dès 1669, Louis XIV interdit l’émigration des réformés, interdiction renouvelée dans l’édit de révocation lui-même : les hommes pris étaient envoyés aux galères et les femmes en prison. Les voies de sortie étaient surveillées. La mer, à partir des ports de Bordeaux, La Rochelle, Dieppe, Rouen est facile à franchir, des chaloupes viennent chercher les fugitifs et les déposent à bord de vaisseaux anglais, hollandais ou danois ancrés au large. Les navires repartent avec quelques passagers officiels, les pasteurs, et surtout avec de nombreux clandestins voyageant au fond des cales dans des conditions épouvantables, après avoir payé de grosse sommes aux passeurs. Souvent les tentatives échouent, après dénonciations. La Normandie à partir des ports de Dieppe et Rouen voit passer le plus gros contingent, la proximité des ports anglais et des îles normandes facilitant ces passages. Ceux du Sud se dirigent parfois vers Bordeaux, de là vers l’Angleterre, parfois ver le Nouveau Monde. La majorité s’embarquent par Marseille, voire Nice, se dirigent vers Gênes, et, de là, par terre vers Turin puis Genève.

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Gravure illustrant les voies de sortie hors du royaume de France des Huguenots

Après l’édit de Nantes, les départs diminuent fortement, certains émigrés rentrent même en France. Mais chaque crise (la prise de La Rochelle, les dragonnades du Poitou de 1681) entraîne de nouveaux départs, bien qu’un édit royal (en 1669 renouvelé en 1682, étendu aux « nouveaux convertis en 1686) leur interdise de « s’établir en pays étranger ». La courbe de l’exil atteint son pic à la révocation de l’édit de Nantes de 1685, diminue au cours de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), et grimpe à nouveau après l’échec de la guerre des Camisards (1702-1704). Certains partent encore après la mort de Louis XIV (1715), la Régence n’ayant rien changé à la législation et les épisodes de répression n’ayant pas cessé. Aux trois pays du premier Refuge s’ajoute l’Allemagne, en particulier l’électorat de Brandebourg (la future Prusse) et celui de Hesse-Cassel, qui attirèrent l’excès de réfugiés de passage en Hollande et surtout en Suisse et Genève. On note des départs pour les pays scandinaves et même la Russie. Les épopées vers le Cap de Bonne-Espérance et vers les colonies anglaises du Nouveau Monde ont souvent été décrites.

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Exécution d’Huguenots pendant les Dragonnades en pays poitevin au temps de la révocation de l’Edit de Nantes

Quant aux voies de sortie, il n’y a pas que la mer : La voie de terre a été empruntée par les nombreux huguenots du Dauphiné, Vivarais, Cévennes, Languedoc, Provence, ainsi que des villes piémontaises sous domination française, qui se dirigent vers les cantons suisses francophones, la République de Genève, la principauté de Neuchâtel. Les protestants de Bourgogne, Champagne, Lorraine se dirigent vers les pays rhénans. Les itinéraires se heurtent aux obstacles naturels, surtout le Rhône, les ponts étant rares. Le Jura, pour aller à Lausanne, est difficile à franchir, Montbéliard étant français et les gorges du Doubs n’ont que de rares ponts. La surveillance est forte, mais « avec de l’argent on passe le Rhône partout » témoigne un batelier. À Lyon, importante plate-forme de passage, il est facile de se fondre dans la grande ville, de recruter contre de l’argent un passeur – plus ou moins sûr – et d’attendre une occasion. Des marchands étrangers vont jusqu’à venir dans des foires prendre en charge des fugitifs qu’ils conduisent à Lyon. On marche de nuit, on se cache de jour, on se déguise en mendiant, en colporteur ou en vendeur de chapelets. On contrefait les malades, les muets, les fous. Les morts n’étaient pas rares, de fatigue, faim, froid. Tout ceci est risqué, les arrestations fréquentes avec condamnation aux galères, les passeurs peuvent être pendus. Des guides manuscrits indiquent les itinéraires et les lieux de passage, parfois les personnes auxquelles on peut demander de l’aide. La frontière du Nord recèle de nombreux pièges compte tenu de la géographie enchevêtrée et mouvante entre localités occupées par des garnisons françaises ou hollandaises. Ceux qui sont pris doivent abjurer pour être libérés. Solitaires, ou voyageant en petits groupes de parents, amis ou voisins, souvent les hommes partent en avant pour préparer le lieu d’accueil, femmes et enfants suivant plus tard.

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Accueil des réfugiés huguenots en pays Brandebourg, en 1686

Cette fuite des Huguenots hors de France ne vous rappelle rien ? Cherchez bien  : les Syriens ! Et encore les Ukrainiens! ! Eux aussi fuient les persécutions, eux aussi, à trois siècles d’intervalle, sont confrontés à la fatigue, au faim, au froid, aux frontières enchevêtrées et souvent les hommes partent en Europe en avant pour préparer le lieu d’accueil, femmes et enfants suivant plus tard.

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Mêmes causes, mêmes effets, le pouvoir absolu corrompt tout. C’est pourquoi, nous Européens, avons le devoir de les accueillir. Dieu nous le rendra.

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Et pour conclure concernant La Couarde qui résista pendant deux siècles dans la clandestinité des assemblées du désert à l’autorité royale, nous gardons le souvenir des élèves de l’école primaire communale de ce petit village pour le enfants nés en 1947, en 1954 et ces temps derniers, qu’il est possible aujourd’hui de consulter sur internet.

Rien de plus manifeste  à travers ces photos qui traverseront les siècles par la magie des lucarnes numériques, que la discipline n’est plus ce qu’elle était : pour les enfants de  1947, les enfants sont parfaitement alignés sur trois rangées, avec les garçons derrière, pour les enfants de 1954, cela commence à être n’importe quoi, et pour la photo la plus récente, c’est du grand n’importe quoi: les parents sont là et ne regardent pas l’objectif du photographe, tout le monde est habillé n’importe comment. Etonnez-vous ensuite que l’école de la République  soit devenue aussi une école de fabrique de terroristes  ! Il est grand temps d’en revenir aux fondamentaux : blouse grise pour tous. A la rigueur bleue !

Et pour ceux qui veulent vraiment tout savoir sur La Couarde, n’hésitez pas à consulter le site du village très bien fait et documenté : LaCouarde79.fr : Vive La Couarde, les Couardais et son théâtre, Vive sa cuisine huguenote, son farci et son tourteau fromager, Vive la France qui n’existerait pas sans ce monde rural dédaigné des intellectuels dont la Couarde est un digne représentant, et qui pourtant a fait, fait et fera la France éternelle.

79 LA COUARDE. Château de Faugeré 1904

Cet article est dédiée à FDo, et à tous ces merveilleux enfants de la France éternelle, sans qui cette chronique n’aurait jamais été entreprise, faute de connaître La Couarde.