Les Khatchkars d’Edjmiatzin

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L’Arménie n’est pas qu’un génocide. Son histoire est admirable de ténacité et pugnacité. La conversion au christianisme du pays le dispute en antériorité avec celle de l’Empereur Constantin. Les paysages sont impressionnants, les monastères magnifiques, et c’est pourtant tout sauf un pays de cartes postales. L’Arménie est à lui seul un continent d’histoire bimillénaire ou presque : Grégoire l’Illuminateur y convertit le roi Tiridate IV au christianisme en 301 et le moine Mesrop Machtots inventa l’alphabet arménien en 405, de sorte que la religion et la langue constituent les deux piliers indestructibles d’un peuple voué aux tourments permanents tout au long de son histoire, jusqu’à nos jours.

CP - 2001 -Armenian Church: When Armenia adopted Christianity as its state religion in 301 AD, it became the first nation in the world to do so. The year 2001 marks the 1,700th anniversary of the Armenian Apostolic Church. A single commemorative stamp, designed by Debbie Adams, features elements important to the Armenian Church: a Khachkar (cross stone), an image of Christ, and detail from ancient text. The stamp was issued on May 16, 2001, in Toronto, Ontario.

Car voici un pays dont la superficie a été réduit de plus de la moitié par les trahisons historiques, confiné en sa partie orientale à supporter le chagrin éternel de sa moitié occidentale emportée par le génocide, privé aussi de pouvoir rechercher au sommet du mont Ararat l’arche de Noé qui nous manque à tous depuis si longtemps.

Серебряные Струны - Новые двери...

Et s’il n’y avait que le génocide et la perte de l’Ararat. Mais l’Arménie a traversé soixante dix ans de cauchemar soviétique, de 1922 à 1992 avec les crimes de masse des communistes sans oublier l’industrialisation délirante et la collectivisation forcée de l’agriculture, deux politiques qui ont ruiné l’économie d’un pays sans beaucoup de ressources propres en énergie et matières premières. Il faut aussi ajouter la décisio stalinienne de diviser le pays en deux, le Haut-Karabakh ayant été rattaché à l’Azerbaïdjan pour affaiblir l’unité nationale arménienne, attisant un conflit inextricable entre deux nations, source de guerres permanentes.

Les soviétiques ont même accompli la performance technique insensée de vider le lac Sevan, un lac plus grand que le lac Léman en modifiant l’approvisionnement en eau pour égaliser les différences de niveaux entre le lac supérieur et le lac inférieur, leur essai aboutissant à ce que ce dernier atteigne désormais un niveau supérieur à l’autre qui l’alimente, ce qui fait que les deux se vident inexorablement. Il n’y avait que les communistes pour jouer ainsi à la roulette russe avec l’économie ou la nature, menant où tout cela où cela devait mener. Merci Lénine, merci Staline, merci les successeurs, on comprend que tous les Etats ayant réussi à échapper au joug russe ne tiennent pas à y retourner et encore moins de force !

Lake Sevan

Et s’il n’y avait que le génocide, la perte de l’Ararat et les folies passées du soviétisme ! La malheureuse Arménie se trouve au milieu de glissements incessants de plaques tectoniques qui ont la mauvaise idée de provoquer d’épouvantables tremblements de terre comme celui du 7 décembre 1988 qui a ravagé  le nord occidental industriel du côté de Gyumri, ruinant cette région pour plus d’un quart de siècle, sans compter les innombrables victimes, morts, blessés, déplacés, exilés, une région qui depuis n’a pas retrouvé le niveau de population d’avant le tremblement de terre. Et pour quoi faire ? toutes les usines ou presque sont à l’arrêt depuis 25 ans. Quand on traverse la région, on a l’impression d’être dans un film de science-fiction.

Alors oui, pour tous ses malheurs, l’Arménie serait déjà terriblement attachante, si elle n’avait pas en plus l’incroyable histoire d’une religion et d’une langue qui toutes deux ont traversé dix sept siècles de périls imminents, des invasions perses aux passages de Turcs de toutes sortes, sans oublier la survenue des Russes impériaux devenus soviétiques, et bien décidés à  s’emmêler de tout.

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L’Arménie est pourtant toujours debout, avec ses Arméniens accueillants et ses arméniennes, toutes plus ou moins cousines de Kim Kardashian et de ses soeurs. C’est une chance pour les Arméniennes de pouvoir se promener en foulards ou non, au milieu de pays peu tendres pour le brushing en toute liberté comme l’Iran et la Turquie. Les Iraniens d’ailleurs, aiment tellement le Coca qu’ils s’en retournent d’Arménie chez eux avec des caisses entières d’une production locale à base de raisin, cela s’appelle de l’Arménian Wine Coca, c’est plus discret quand on rentre dans un pays où la consommation d’alcool est interdit.

Տարազ- Armenian National Clothing - Taraz

Հայկական ազգային հագուստ Armenian national clothing   Armenian women in traditional clothes. Caucasian mountains.  Beautiful portrait!

Donc, l’Arménie est un pays magnifique et chaleureux qui mérite bien plus que la Turquie d’être visitée, même si tout n’est pas rose en matière de droits de l’homme, car il faut bien composer avec la Russie qui assure la défense aux frontières comme dans le bon vieux temps. Les voisins sont si imprévisibles, pas facile de vivre auprès du Grand Turc ou de l’Azerbaïdjan qui a la chance de disposer d’immenses réserves de gaz et de pétrole, même si Bakou n’en fait pas grand chose, cela s’appelle la malédiction du pétrole : gaspillage, corruption et dictature, demandez à Poutine, c’est le champion du monde toutes catégories, deux cents milliards de dollars détournés à titre personnel paraît-il, pas mal du tout pour un champion de karaté devenu champion de carats en caisse.

Armenian khachkar http://www.gotravel.am/en/incoming

Tout cela pour vous inviter en Arménie à faire le tour des Khatchkars, histoire de vous divertir. Khatchkars, avez-vous dit ? Exactement, Khatchkar ! Il faudra bien une semaine pour prononcer correctement le mot, et l’éternité pour admirer ces sculptures de pierre qui sont l’âme de l’Arménie, le secret enfoui d’un pays dans les Racines du ciel pour reprendre le titre d’un livre de Romain Gary.

Cross-Stone at Sanahin Monastery by Dr. Harout, via Flickr - Haghpat, Lorri, Armenia

Les Khatchkars sont tout simplement des stèles de pierre sur lesquelles sont sculptées des croix symbolisant l’arbre de Vie car les croix portent à leur extrémité des racines remontant vers le ciel pour témoigner du passage vers l’éternité du défunt : le Khatchkar a d’abord une fonction funéraire, comme s’il s’agissait d’une oraison perpétuelle pour les défunts.

Les  Khatchkars n’ont pas de représentation humaine du Christ sur la croix, à quelques exceptions qui fascinent d’autant plus. Et les croix sont généralement placées au-dessus d’une roue de l’éternité qui renforce le caractère symbolique recherché.

Armenian cross, khachkar

Mais assez démontré, montrons. Nous connaissons quelqu’un bien mieux capable d’en parler, il s’agit de Thomas Wallut, journaliste présentant les émissions de Chrétiens orientaux sur France2 ; c’est un homme de grande simplicité et sincérité, capable d’évoquer les tragédies vécues par les Chrétiens d’Orient avec beaucoup de talent et conviction, autant de qualités rares au milieu de la légèreté des temps médiatiques. Il est investi à 100% dans son travail : n’hésitez pas à voir et revoir ses reportages.

Faut dire qu’il fait dans la vidéo, cela tape plus à l’œil que les mots. Mais tout de même, chapeau l’artiste, l’émission consacrée aux Khatchkars vaut le détour. Celui sur les Chrétiens d’Iran aussi. C’est mille fois mieux que les misérables photos qui suivent, prises à Edjmiatzin, le Saint Siège du Catholicos qui revendique la primauté sur tous les Arméniens, qu’ils soient en Arménie même ou au Karabagh, dans les anciens états de l’Union soviétique, en Europe, en Amérique, en Australie, partout où se trouve la nombreuse diaspora arménienne, et même en Inde ou en Egypte. Le Saint-Siège d’Edjmiatzin serait construit au lieu même où aurait été édifiée la première cathédrale en 484 destinée à perpétuer l’endroit même où le Christ apparut à Grégoire l’Illuminator.

En avant marche donc, pour les  khatchkars d’Edjmiatzin, en souvenir de celui qui ne put alors nous accompagner pour s’éclipser plus tard, le Père Dominique Chéreau, religieux de Saint-Vincent de Paul.

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Le plus grand nombre de ces Khatchkars proviennent d’Arménie occidentale d’où ils ont été rapatriés pour échapper à la fureur destructrice turque. Cet art remonte aux IXème et Xème siècles et les sculpteurs travaillent sur un monolithe  ce qui exclut le droit à l’erreur.

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Et voici quelques détails, dont la roue de l’éternité sur laquelle est posée la croix :DSC_0070 DSC_0071

Voilà un Khatchkar plus récent :DSC_0192

Vive l’Arménie et les Arméniens !