Le lundi 9 novembre 1970, le Général de Gaulle nous quittait avec précipitation pendant une « crapette », un jeu de cartes autrement appelé solitaire. Après l’échec au référendum de juin 1969, sa démission de la présidence de la République et un séjour en Irlande, de Gaulle s’était retiré à Colombey-les-deux-Eglises pour écrire ses mémoires d’Espoir faisant suite aux mémoires de Guerre.
De Charles de Gaulle, on se souvient de l’homme du 18 juin, fondateur de la France Libre, qui permit miraculeusement à la France de retrouver son rang de grande puissance en 1945, puis de l’homme politique qui fonda les institutions de la Vème République alors que la France était confrontée aux événements d’Algérie qui menaçaient de se transformer en guerre civile. Il faudra quatre ans pour mettre fin à la tragédie algérienne avec les accords d’Evian en 1962. Ceux-ci accordent l’indépendance à l’Algérie et entraînent l’exode d’un million de pieds-noirs qui viendront s’installer en France après avoir tout perdu. On commence à oublier qu’il fut l’artisan pacifique de la décolonisation de l’Afrique subsaharienne française entre 1958 et 1960, s’appuyant sur l’incarnation du monde africain qu’étaient Léopold Sedar Senghor et Félix Houphouët-Boigny, deux Sages d’une histoire commencée des millénaires avant la naissance du Christ et qui se poursuit sans interruption jusqu’à nos jours.
Mais l’homme capable de dénouer les crises les plus graves est aussi un visionnaire, un homme de paix qui va œuvrer inlassablement à la réconciliation avec l’ennemi héréditaire, l’Allemagne qui par trois fois, en 1870, 1914 et 1940 a envahi la France, provoquant des millions de morts, ruinant à chaque fois la terre de France, dans le Nord et l’Est mais aussi la Normandie en 1944, supportant géographiquement les conséquences matérielles dramatiques des trois conflits conflits, que ce soit lors de guerres de mouvement en 1870 et 1940 ou lors de la guerre de tranchées entre 1914 et 1918. Pour le soldat qui avait combattu les Allemands pendant la Première guerre mondiale, avait été blessé plusieurs fois et aussi fait prisonnier, il n’y avait rien d’évident à pardonner à un peuple qui n’avait cessé de choisir des dirigeants belliqueux et criminels accomplissant des plans belliqueux et d’asservissement des peuples européens.
L’ossuaire de Douaumont à Verdun est le symbole de la tragédie en trois actes des guerres franco-allemandes entre 1870 et 1940
Le soldat et patriote de Gaulle avait choisi en 1934 d’acheter une maison à mi-chemin des innombrables garnisons de l’Est et Paris où il enseignait à l’Ecole de Guerre des théories iconoclastes sur l’utilisation combinée des chars et de l’aviation, préceptes ignorés par l’état-major français mais étudiés par les planificateurs allemands de la guerre éclair. De son bureau, le soldat de Gaulle avait un vue imprenable sur l’horizon indépassable de la haine entre Français et Allemands.
La Boisserie et les paysages vus de Colombey-les-deux-Eglises
Après avoir œuvré en 1960 à l’indépendance des colonies africaines, réglé l’insoluble question algérienne en 1962, c’est avec un autre artitsan de paix d’exception, le chancelier Konrad Adenauer que de Gaulle devenu président engagea la réconciliation avec le cousin germain ennemi, conduisant le 22 janvier 1963, les deux hommes à conclure le » Traité entre la République française et la RFA sur la coopération franco-allemande « , dit » Traité de l’Elysée « . Dans une » déclaration commune » accompagnant le Traité, ils réaffirment leur conviction que « la réconciliation du peuple allemand et du peuple français, mettant fin à une rivalité séculaire, constitue un événement historique qui transforme profondément les relations entre les deux peuples » (voir la réconciliation sur le site de la fondation Charles de Gaulle)
La signature du traité de l’Elysée avait été précédée de la cérémonie religieuse à Reims le 8 juillet 1962 au cours de laquelle les deux chefs d’Etat manifestèrent leur volonté de réconciliation immortalisée depuis par une plaque commémorative à l’entrée de la cathédrale de Reims : A Monseigneur Marty, archevêque de Reims, son excellence, le chancelier Adenauer et moi-même venons dans votre cathédrale sceller la réconciliation de la France et de l’Allemagne.
Quatre ans plus tôt, Charles de Gaulle avait accueilli Konrad Adenauer à Colombey, marque profonde d’un grand respect de la part du général qui n’ouvrait les portes de la Boisserie qu’à de très rares visiteurs.
Depuis lors, les présidents se succèdent et l’intensité de la coopération entre la France et l’Allemagne constitue le véritable baromètre de l’unité de l’Europe devenue une grande famille de 28 membres ayant d’innombrables amis et alliés de par le monde.
C’est pourquoi il n’est rien de plus important que de conserver cet état esprit de la réconciliation franco-allemande que le général de Gaulle et Konrad Adenauer ont voulu sceller au cours d’une cérémonie religieuse destinée à éclairer les successeurs du caractère irréversible de cette union charnelle et spirituelle entre les deux peuples. Et c’est à Colombey, dans ce petit village que tout a commencé en 1958 de par la volonté de deux hommes de génie ayant compris que,treize ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, malgré les douleurs apaisées, les blessures béantes et les haines tenaces, il était temps d’écrire une nouvelle page de l’histoire.
Les funérailles du général en novembre 1970 à Colombey
Pour nous qui sommes vivants, des quatre miracles gaulliens avec l’appel du 18 juin 1940, la constitution du 4 septembre 1958 et les indépendances africaines, la réconciliation franco-allemande est le plus important d’entre tous. Elle scelle une fraternité du quotidien avec le peuple allemand sur laquelle veille l’esprit du Grand Charles qui a choisi de demeurer pour toujours à Colombey et que nous appellerions Charles le Grand si nous avions gardé nos traditions séculaires.
C’est pourquoi visiter la Boisserie, le mémorial marqué de la croix de Lorraine, symbole de la France libre, et ce village de Colombey, minuscule par la taille mais gigantesque par l’histoire, est source de vitalité pour les neurones ruinés par les sodas. La vie est un combat permanent et l’esprit de liberté et de paix permet de ne jamais renoncer à ce combat de la Vie. Aujourd’hui, nous sommes tous redevables au général de Gaulle et au chancelier Adenauer d’avoir signé le traité de l’Elysée, alors faisons le vivre tous les jours, en commençant par faciliter l’apprentissage de l’Allemand en France, par exemple. Et en renouant avec les échanges scolaires franco-allemands aussi. Ou encore en cessant d’insulter ce grand peuple frère et ses dirigeants responsables : ces accusations sont non seulement médiocres et minables mais elles engendrent un climat d’indifférence qui suscite l’éloignement au lieu d’inciter au rapprochement et à l’amitié entre les deux peuples.
Les compagnons de la Libération, les chefs d’état africains ici reçus à la Boisserie le jour des funérailles du Général et Churchill, le compagnon d’armes, constituaient la famille proche de Charles de Gaulle.