Dans un monde de brutes, où l’insulte le dispute à l’injure, où la prétention rivalise de vanité avec l’orgueil et où la violence n’est que banalité affligeante, il est nécessaire parfois d’oublier le règne universel de la cruauté pour se laisser attendrir par un paysage, un visage, une rencontre où bien tout simplement un lieu qui vous remet en mémoire des souvenirs avant qu’il ne soit trop tard.
Moulin sur le Loir à Durtal, en Haut Anjou
L’auteur virtuel a donc décidé de remonter en barque plate le fleuve du temps, pour rechercher les sources d’un monde perdu qui fut autrefois celui d’une enfance, d’une jeunesse ou un lieu de sa vie adulte, et de laisser tomber un temps les donneurs de leçons à la morale élastique, toujours certains d’avoir raison même quand ils en arrivent, sans s’en rendre compte à se vautrer dans le mensonge comme on se prélasse dans un hamac.
Moulin du Pendu sur la Sarthe, en Haut Anjou
Nous voici donc partis pour le Haut Anjou, là où les villages et les paysages sont d’une grande tristesse. Qu’allons nous faire en des lieux si loin du monde, où il n’est possible de ne retrouver que des images aussi brouillées que des œufs. Le nord de l’Anjou a longtemps été une terre de paysans pauvres durs au labeur qui aujourd’hui ont disparu, emportés par l’exode rural.
La Boire du Rossignol, à Chemiré-sur-Sarthe, en Haut Anjou
Après avoir été livrés en masse à la mitraille pendant la Première guerre mondiale, la mécanisation agricole a détruit en un demi-siècle une civilisation rurale qui existait depuis le temps des Gaulois, abandonnant à un triste sort les campagnes françaises qui n’ont jamais préoccupé personne, à l’exception des jours de foires et de comices précédant les élections locales ou nationales. Et les filles et les fils de paysans ne pouvant plus vivre comme les générations précédentes du travail de la terre, ont rejoint des cages HLM pour vivre comme des poules et des lapins à la périphérie des villes, appelées pompeusement banlieues, et qui n’étaient que de sordides cloaques en béton, avec comme horizon limité que les choux et les navets de jardinets ouvriers.
Rue principale de Coudray, dans le Haut Anjou
On ne raconte que rarement l’histoire de ces millions de personnes qui appartenaient à cette civilisation rurale aujourd’hui disparue, sauf quand on veut faire croire pour l’audience médiatique que le bonheur est dans le pré. On vous conte tous les jours ou presque les malheurs des Pieds-Noirs ou des immigrations successives depuis les premiers Italiens arrivés au début du vingtième siècle jusqu’aux Africains ou Roumains aujourd’hui, sans oublier les Polonais venus travailler dans les mines du Nord de la France. Mais qui se rappelle de nos paysans et de tous ces artisans qui peuplaient les campagnes, grainetiers ou charbonniers, bourreliers ou tonneliers, sabotiers ou cordiers, sans oublier rémouleurs ou harnacheurs, et les maréchaux-ferrants exerçant leur art dans la maréchalerie, terme dérivé du francique marhskalk qui désignait le serviteur responsable des chevaux ? http://metiers.free.fr/index.html
Cet univers ne reviendra plus. Et les villages ne sont désormais que de longues rues vides prolongées par des lotissements sans âme où ne vivent que des personnes âgées ou des familles dont les parents vont travailler dans les villes lointaines. Quelques usines délabrées, des hangars miséreux le long des routes ou des voies de chemin de fer rappellent qu’autrefois le village avait son activité économique propre, tandis qu’aujourd’hui tout est concentré à la coopérative agricole dominée par de hauts silos.
Etriché, dans le Haut Anjou
Et si les cloches de l’église sonnent toutes les heures, c’est uniquement pour rappeler que l’édifice religieux est vide, faute de paroissiens en nombre et d’un curé à demeure, ce dernier faisant sa tournée mensuelle entre plusieurs villages du canton comme autrefois le distillateur ambulant.
Et pourtant, il y a quelque chose de miraculeux dans tous ces villages oubliés du monde. Les fleurs et les arbustes ont remplacé le tas de fumier dans la cour, il n ‘y a pas un ancien chemin de terre qui ne soit recouvert d’enrobés, et là où le terrain de football n’était qu’un champ laissé à l’abandon où deux arbres faisaient office de poteaux verticaux de but tandis que le ciel servait de barre horizontale, ce sont désormais des installations dignes du parc des Princes avec vestiaires et tribunes, qui accueillent toujours une buvette pour vider une chopine ou une fillette, et s’étourdir au guignolet en attendant que le temps passe sous les nuages bas et alors que le goal au pissenlit ne cesse d’aller chercher le ballon au fond des filets.
Car on s’y ennuie ferme dans ces villages le dimanche depuis que les bals musette ont disparu faute de jeunes filles à chahuter. Elles sont toutes parties et il ne reste plus qu’à jouer à la boule de fort en espérant qu’un jour elles reviennent. http://fedebouledefort.free.fr/
Et pourtant, au milieu de ces villages qui cuvent leur solitude, c’est toute la beauté du monde qui vous attend au détour d’un chemin creux ou le long des ruisseaux et des rivières, sautant de gué en gué qui vous fait jeter votre spleen aux orties pour retrouver une gaieté inattendue.
Car au bout de la route, le long d’un chemin plat, là où paissent des moutons, par-delà les bois, soudainement au loin, on aperçoit des toits d’ardoise, et lorsqu’on se rapproche se découvrent des pierres blanches, murs et tours en tuffeau entourés de douves si profondes et si larges qu’il faut un pont de plus de quarante mètres pour accéder au Château du Plessis-Bourré, l’un des plus beaux châteaux du val de Loire, loin des circuits touristiques, et pourtant l’un des plus illustres tant les tournages cinématographiques y sont nombreux. Son architecture n’a pas évolué et ce château est tel qu’il était il y a plus de cinq cents ans lorsque Jean Bourré, le financier de Louis XI l’a construit.
Malheureux ceux qui jamais ne le verront, car ils ne pourront prétendre connaître l’une des plus grandes merveilles du val de Loire qui n’en manque pourtant pas. Mais heureux, ceux qui le voient et le revoient, car ils croient et continuent de croire aux contes de fées.
Nous n’avons pas de plus grands devoirs que de léguer aux générations à venir, ce tuffeau et ces ardoises si fragiles et majestueuses, symboles d’un patrimoine qui n’est jamais à l’abri des dévastations du temps et des hommes.
Plaise à Dieu que jamais tel château ne disparaisse!