La Girouette à grosse tête ne fait pas plus le printemps qu’une alouette

Girouette JARDIFER Coq rond gris
S’il est un mal français pour reprendre le titre d’un livre passé de mode mais qui reste d’actualité, c’est bien cette fascination pour les sauveurs d’élite issus de l’Ecole nationale d’administration (ENA) dont les prétendus talents chantés à tue-tête et à l’unisson dissimulent mal les échecs répétés et patentés plus de depuis quarante ans. Simplifions l’histoire de la Vème république pour en observer les grandes lignes depuis son premier président qui n’aurait pas imaginé ne pas porter le collier de Grand-croix de la légion d’honneur, les traditions sont bel et bien perdues.

L 8 janvier 1959, le général de Gaulle prend ses fonctions de président de la République et de la Communauté.

De 1958 à 1974, la République française est présidée par un général assez gaullien puis un normalien plutôt pompidolien qui font tous deux appel, en plus de Pompidou de 1962 à 1968, à quatre premiers ministres dont la véritable formation est bien plus la résistance que les études supérieures (Debré, Couve-de- Murville, Chaban-Delmas et Messmer). Est-ce donc en raison des grands dangers courus entre 1940 et 1945, et qu’ils étaient habitués à ne pas faire n’importe quoi ? Toujours est-il que jusqu’en 1974, le budget de la nation était équilibré, il n’y avait pas d’endettement et le plein-emploi garanti ou presque.

Un président à gros sourcils ça va, deux présidents à gros sourcils, pas question, trop de soucis, les Français ont tranché lors des élections de 2017.  

Tout change en 1974, avec l’arrivée de la première grosse tête en tant que président de la république. Valéry Giscard d’Estaing est un énarque et fait appel à un autre énarque dévoré d’ambition, un certain Jacques Chirac, la seule différence étant globalement que l’un est inspecteur des finances et l’autre membre de la Cour des comptes. On connaît la suite. Depuis 1974, quatre des six présidents élus sont issus des rangs de l’ENA et ont présidé la France pendant 24 ans sur les 43 ans : les 19 ans où l’énarchie n’a pas réussi à se maintenir à l’Elysée sont les deux mandats de Mitterrand et celui de Sarkozy qui ont pour point commun d’être avocats. En 43 ans, la France n’a donc été présidée que par des énarques ou des avocats, et l’élection de Macron perpétue d’autant plus le système oligarchique français qu’il est à la fois énarque, inspecteur des finances comme VGE et ancien banquier d’affaires tout comme Pompidou : le normalien poète à ses heures n’est pas sans rappeler Emmanuel le pianiste, les deux hommes ayant fait leurs armes dans une banque au célèbre blason.

Cette singularité française dans les choix de ses présidents est encore plus surprenante quand on aborde le caractère dyarchique de la Vème République, qui prévoit un Président qui préside et un Premier ministre qui gouverne, ce dernier étant le seul à rendre compte à l’Assemblée nationale qui détient le pouvoir de destituer le gouvernement. Il se trouve que depuis 1974 ce ne sont pas moins de six premiers ministres qui sont aussi sortis des rangs de l’ENA, dans l’ordre, Chirac par deux fois, Fabius, Balladur, Juppé, Jospin, de Villepin et désormais Edouard Philippe, le dernier de la caste des cadors de l’énarchie, caste qui a donc tenu Matignon pendant 17 ans sur les 43 ans. Et on ne compte que dix années sur ces quarante-trois années où ni le Président ni le Premier ministre n’ont été, l’un ou l’autre, énarque, cinq ans sous Mitterrand, cinq ans sous Sarkozy. D’une certaine façon, on ne promet plus aux Français la poule au pot, on lui donne des énarques, celà nourrit moins son homme mais on se cultive à l’ombre des grands énarques ! Qu’est-ce pour nous, Mon Coeur, que les nappes de sang. Et de braise et mille meurtres et de longs cris,  pour un peu d’apothéose de Berlioz et une nouvelle loi travail !

ENA Strasbourg

C’est désormais à Strasbourg que dans un ancien couvent on couve les jeunes générations d’énarques formatés pour ne se distinguer en rien, sur lesquels on veille avec succès à ce qu’ils perdent tout sens de l’imagination au profit d’une ambition personnelle démesurée et à qui il est demandé de voler en escadrille, pardon en promotion. Tous pour un énarque, un énarque pour tous (voir la promotion Voltaire de F. Hollande)

L’histoire retiendra qu’entre 1974 et 2017, faut-il le répéter une nouvelle fois, c’est lassant, le budget de la France n’a jamais été à l’équilibre, que la dette publique a explosé de 20% à près de 100% du PIB pour atteindre plus de 2.000 milliards d’euros et que le chômage a été multiplié par plus de dix pour atteindre trois à cinq millions selon la façon de compter. Et il y a toujours nombre d’économistes et multitude d’énarques pour considérer que ces chiffres n’ont aucune relation entre eux, ignorants qu’en Allemagne, le retour à l’excédent budgétaire et la baisse rapide de la dette s’est accompagné d’un retour au quasi plein-emploi. Mais il est vrai que les Allemands n’ont pas la chance d’avoir une élite aussi brillante et intelligente, ne pouvant compter que sur une modeste fille de pasteur ayant connu dans sa jeunesse les charmes atroces de la STASI, l’instrument de la dictature est-allemande.

Pourquoi il faut soutenir Merkel

Ceci n’est pas une chancelière, d’après l’oeuvre de Magritte, et encore moins une énarque façon Daumier. 

La monarchie républicaine moderne a gardé des traditions d’Ancien régime, les principes de Cour, qui au jour de la passation des pouvoirs d’un président l’autre, voient les courtisans se prosterner devant le nouveau président, même si la salle des fêtes de l’Elysée n’a pas le faste de la galerie des Glaces de Versailles. C’est bien dommage. Car l’Elysée n’est pas assez vaste pour accueillir tous ces petits marquis et girouettes à grosse tête qui ne font pas plus le printemps qu’une alouette comme les quarante dernières années et l’histoire politique nous l’enseignent.

Le retour à une dyarchie d’énarques à la tête de l’Etat, fait craindre comme entre 1974 et 1976 avec VGE et Chirac, puis de 1995 à 2002 avec Chirac et Juppé suivi de Jospin, que la République renoue avec le combat de coqs, qui est la caractéristique essentielle de la formation donnée à l’ENA, tant on n’y apprend qu’une chose, s’étouffer d’ambition en dévorant un cours théorique sur le millefeuille territorial, à défaut d’y apprendre à connaître la vie, un apprentissage bien superfétatoire pour ceux qui ne reçoivent plus l’épée de conseiller d’Etat quand ils « sortent dans la botte » à l’issue de leur scolarité. Bref, un énarque au pouvoir ça va, deux énarques qui se battent en duel à discours moucheté, bonjour les ordonnances !

Louis XIV et sa cour dans la galerie des Glaces du palais de Versailles, vers 1675, illustration de J-M Ruffieux, une Journée du roi-soleil, Paris l’école des Loisirs, coll. Archimède, 1997