Dans ses mémoires, le champion du monde d’échecs 1960, Mikhaïl Tal, letton d’origine, raconte la scène suivante lors d’une partie d’échecs décisive : Les idées s’accumulaient. Je m’efforçais de transposer contre mon adversaire une riposte subtile qui avait fait ses preuves… ma tête devint un amoncellement de toutes sortes de coups complètement chaotiques et le fameux « arbre des variantes » se mit à proliférer à toute vitesse. C’est alors que pour une raison quelconque, me revint en mémoire le couplet de Korney Chukovsky :
« Oh comme c’était difficile de tirer l’hippopotame hors du marais ».
Je ne sais par quelles associations l’hippopotame avait surgi de l’échiquier, mais tandis que les spectateurs étaient tous convaincus que je continuais d’étudier la position, j’étais en train de penser : commen tirer un hippopotame hors du marais ? Je me souviens que je voyais des crics, des leviers aussi, des hélicoptères et même une échelle de corde. A la suite de cette réflexion prolongée, je m’avouai vaincu en tant qu’ingénieur et pensai méchamment : Bon, laissons-le se noyer. Et soudain l’hippopotame disparut. Parti de l’échiquier comme il était venu de lui-même, Immédiatement, la position ne me sembla plus compliquée. Il m’apparaissait maintenant que le sacrifice du cavalier était, par nature, purement intuitif. Et dès lors qu’il promettait une partie intéressante, je ne pus m’empêcher de le jouer.
Le jour suivant, je lus avec jubilation dans les journaux que Mikhaïl Tal, après avoir prudemment réfléchi sur la position pendant quarante minutes, fit le sacrifice calculé avec la plus grande précision d’une pièce… »
[Mikhaïl Tal, né en 1936 en Lettonie, devient soviétique en 1944 ; il est champion d’URSS par six fois et champion du monde en 1960, à l’âge de 23 ans. Il meurt en 1992, laissant derrière lui d’innombrables parties d’exception, face à Botvinnik, Petrossian, Karpov ou Fischer, ainsi que des mémoires et des aphorismes dont : « Les Echecs sont une tempête contre l’homme ».]
Nous sommes tous confrontés à retirer un jour ou l’autre un hippopotame hors du marais, pour reprendre un vers d’une célèbre comptine d’enfant connue de tous les Russes. Et comme le raconte si bien Mikhaïl Tal, ce n’est pas chose aisée. Au niveau de la vie collective, la violence, la pauvreté ou l’ignorance sont autant d’hippopotames qui baignent dans la boue des marais sans que les leviers budgétaires ou les crics réglementaires n’y changent grand chose. Vous ne ferez pas sortir l’hippopotame de son bain de boue qui est pour lui ce que le jacuzzi est pour l’homme.
Alors que faire ? Je me souviens avoir écrit dans Roman d’espoir, vers la fin du Maître et la Moisson, le livre IV Pierre de France, ce passage suivant où l’héroïne du roman fleuve, Abyssinia, propose la solution suivante :
– Au fait, demanda un peu plus tard Abyssinia, savez-vous comment on sort un hippopotame hors du marais ?
– Non.
– C’est tout bête. On construit en amont un barrage assez grand pour assécher le marais et on y jette du sable jusqu’à ce que l’hippopotame puisse en sortir seul, car la seule solution est que l’hippopotame sorte par lui-même hors du marais.
– Vous êtes merveilleuse, Abyssinia. uU champion du monde d’échecs aussi brillant que Tal ne trouve pas la solution, et vous, spontanément, votre intuition et votre imagination vous donnent les clefs de la solution. Mais vous êtes-vous demandée ce qu’il arriverait s’il s’agissait d’un rhinocéros à la place d’un hippopotame.
– Non, je suppose la même chose.
– Je n’en suis pas certain, je crois qu’il foncerait sur les personnes qui auraient cherché à l’extraire du bourbier et qu’il en blesserait ou tuerait, car les sauveteurs, à aucun instant, en plein travail, n’imagineraient qu’ils puissent devenir la cible de la fureur blanche de l’animal libéré.
– C’est possible, dit Abyssinia, mais il faut prévoir alors la présence d’un dompteur.
– Vous croyez qu’il existe des dompteurs de rhinocéros ?
– je me souviens avoir lu dans mon enfance que le premier rhinocéros à être présenté sur une piste de cirque, en 1968, s’appelait Zeila, au cirque Knie, le cirque national suisse à Rapperswill, la ville des Roses, dans le canton de Saint-Gall.
– Mais comment savez-vous tout cela demanda Laud ?
– c’est un secret de fabrique…
Road rage, by Kit Wilde, On Pinterest and Flickr
A la réflexion, les propositions d’Abyssinia, pour intéressantes qu’elles soient, n’apportent pas de réponse définitive, car si cela semble fonctionner pour le rhinocéros, qu’en est-il pour l’hippopotame moins dangereux au premier abord ? J’ai mis en exergue de Cervieres.com une photographie qui semble prouver le contraire. Et de toute façon, quoiqu’il arrive, il faut apprendre à courir plus vite qu’un hippopotame, par mesure de prudence.
Porte-avions Charles-de-Gaulle, pouvant embarquer un groupe aérien d’avions Rafale équipés du missile de croisière ASMP-A (ai-sol moyenne portée)
C’est pour cela que le principe de légitime défense justifie le maintien d’une force de dissuasion nucléaire, comme vient de le rappeler le Président de la République, conservant ainsi l’un des principaux acquis de la Vème République fondée par le général de Gaulle en 1958 et qu’aucun de ses successeurs, heureusement, n’a jamais remis en cause. Si nous ne voulons pas courir pour éviter la charge de l’hippopotame, il nous faut des dompteurs. La dissuasion nucléaire est destinée à dompter ces pays menaçants, ces tyrannies infernales qui nous pourrissent la vie par leur volonté de puissance, ces Kim, ces Vladimir et autres tyranneaux qui non seulement pillent allègrement les forces vives de leurs pays mais n’hésitent pas à tuer et massacrer.
Clara, le rhinocéros au carnaval de Venise, huile sur toile, 62 x50 cm, de Pietro Longui, 1751, Ca’ Rezzonico Museo del Settecento Veneziano, Venise
Et c’est aussi pour cela que le carnaval, cet autre dompteur habillé en clown de la liberté, nous est utile car il permet de remettre à leur véritable place les tyrans en se moquant d’eux, moqueries qui sont hélas bien trop douces par rapport à la réalité tant ces tyrans sont ridicules au quotidien. Pour autant, méfions nous des docteur Folamour insaisissables dans leur imprévisibilité.
Dr Folamour, Dr. Strangelove in English, est un film de Stanley Kubrick interprété par l’inoubliable Peter Sellers à qui on doit aussi ce magnifique personnage du commissaire Clouzot dans la Panthère rose. Dr Folamour, diffusé en salle en 1964, a été réalisé peu après la crise des missiles de Cuba en octobre 1962. Son sous-titre est : » comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe »