Quand Vaval rencontre Ubu

DSC_0002

Parade nocturne à Basse-Terre, oeuvre de Charles Delhaes, 1999

 Le Carnaval en Guadeloupe, c’est du sérieux, comme dans toutes les îles des Petites Antilles ou presque. C’est pas Rio ou Venise d’accord, c’est différent de Rio, moins professionnel, plus amateur, tout le monde y participe, grands comme petits, et on défile pendant sept à dix semaines selon la date d’entrée du carême. C’est bien autre chose que Venise avec son Casanova déguisé en mort-vivant qui pue la naphtaline ! On s’y amuse, on n’est pas au théâtre avec des décors de film pour James bond ou des images frelatées du Palais des Doges qui plonge dans la lagune. Et puis, regardez moi cette fête des Marie ! D’accord les filles sont jolies, mais question ambiance, pardonnez-moi, ça ne danse pas ! On a du mal à croire qu’en 944, des pirates soient venus enlever douze jeunes filles lors de la fête des mariages. Ils ne devaient pas être dans leur état normal. La Fête des Marie du Carnaval de venise 2015 Et puis s’il suffit de mettre un masque, de mettre sa robe ou son costume du dimanche et d’enfiler des bas de soie et de virevolter sur des airs de troubadours engourdis, genre Vivaldi façon musique de pub d’André Rieux,  quand est-ce qu’on danse ?

Toujours est-il que la Guadeloupe a même inventé en 2009, la parade sociale avec Domota en Vaval roi du carnaval. A la fin, c’était plutôt les Tontons macoutes du LKP que les touloulous de Cayenne qui défilaient. French Guiana - Carnival - Touloulou, Creole Tradition

 Touloulous de Cayenne, Guyane française @Philippe Giraud/Goodlook/Corbis. Voir autres photos  sur http://www.corbisimages.com

Et après la fête, tout le monde a eu la gueule de bois économique et sociale, mais ce qui comptait pendant ces manifestations contre la vie chère, c’était quand même de défiler bien que les fêtes du caranaval eussent été annulées, une première sur l’île attachée viscéralement à cette tradition. Imaginez un 14 Juillet sans défilé sur les Champs-Elysées, et bien c’est ce qui est arrivé cette année-là !

Manifestation LKP en 2009 à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe

Le carnaval dont je veux vous parler est bien plus important. C’est le carnaval pout tous, qui commence avant même l’épiphanie et la galette des rois pour se terminer le mercredi des cendres, avec cependant un jour de blues supplémentaire en rouge et noir, le jeudi de la mi-carême.

Pour vous donner une idée de l’importance du carnaval, j’ai regardé le programme 2015, il n’y a pas moins de cinquante manifestations organisées dans l’ïle en moins de 40 jours, défilés, déboulés, vidés, parades, masques et fouets, mariages burlesques, chars, concours de miss, et ce n’est que la liste officielle.  http://www.antilles-guadeloupe.fr/informations/carnaval

Car pendant cette période, c’est un peu comme Avignon l’été, mais en beaucoup mieux : il y a aussi le carnaval off, sauf que personne ne vous oblige à aller se pâmer dans des salles vides pour voir des spectacles subventionnés pour Bobos en chaleur, à grands renforts de critiques dithyrambiques histoire de remplir les pages Culture de la presse que personne ne lit en période estivale.

Alors, me direz-vous ? Que faire ? Que regarder ? Et bien, en tant qu’expert carnavalesque  autoproclamé, je vous conseillerais le carnaval des enfants à Basse-Terre si vous avez des enfants bien évidemment. C’est le samedi qui précède le mardi-gras. Toutes les écoles défilent, avec les parents et les maîtres d’école qui accompagnent. C’est un peu ce qui manque en métropole dans notre système éducatif, de la joie et de la bonne humeur pour tous les enfants. Les crêpes à la  chandeleur, c’est bien, c’est nourrissant, mais le carneval c’est mieux, c’est dégourdissant. Il est vrai que l’hiver en métropole ne s’y prête pas, les caranavaliers habillés en doudoune, déguisés en ours polaire glissant sur une plaque de verglas. On peut toujours envisager le carnaval en salle, mais ce n’est pas pareil, difficile d’organiser un vidé sans sortir de la salle !

Et Ensuite ? Cela dépend. certains préfèrent le défilé du dimanche à Pointe-à-Pitre ou bien les vidés de groupes de peaux des Abymes. Ma préférence va aux parades nocturnes, celles de Saint-François en Grande -Terre et de Basse-Terre dans le Sud Basse-Terre, qui ont lieu le lundi soir, et qui sont malheureusement en concurrence à cent kilomètres de distance. Quand on est sur place, on alterne années paire et impaire, c’est sûr que c’est plus pratique de résider sur place. Autrement,  j’ai un faible pour les déboulés d’Akiyo sur Pointe-à-Pitre :

gwo siwo

ou le groupe Voukoum, celui de Basse-Terre :

Et encore celui de Van Levé, à Sainte-Rose :

J’aime tellement le carnaval des îles de la  Guadeloupe qu’une année je suis venu avec mon groupe floklorique. On avait  commencé par s’entraîner de longues heures en déboulés et vidés, progressant vite en cohues dévastatrices sous les ordres de notre bien aîmé Grand leader.

Ensuite, on a continué avec quelques pas de danse martiaux totalement improvisés : Entretemps, le Virtuose du Peuple a revisité le tempo avec l’accordeur de cordes à étrangler…

… Et donné les dernières consignes aux bénévoles qui ont sagement noté les conseils avisés pour l’adaptation d’Umbrella ou des Parapluies de Cherbourg, à la mode Kim Style.

Et nous voilà tous embarqués pour la grande traversée sur ma pirogue, mon ‘Ti Cano.

J’espère bien que nous arriverons à temps et que nous ne serons pas refoulés au port pour excès de discipline et de propagande. Car Vaval, le roi du carnaval n’est pas Ubu roi. Au pays d’Ubu roi, il y a longtemps que l’esprit de Vaval a disparu hélas.  Et là où les carnavals, les défilés et les parades sont placés sous les ordres d’Ubu, il n’y  a pas de liberté possible, même pas de rire pour soulager de  la misère. Car seul le rire permet de tout supporter.

Et puis, n’oubliez jamais que l’histoire du carnaval aux Antilles est intimement liée à celle de l’esclavage. Pour ceux que cela intéressent voici une étude instructive de l’histoire du carnaval en Martinique.

Cliquer pour accéder à –fdf–23012405-La-coutume-carnavlesque.pdf

Coeur de pitre, le 16 février 2015, veille de Mardi gras