Ami perspicace,
je commencerai cette rubrique destinée à honorer les bienfaiteurs de l’humanité par saluer les inventeurs du casse-noix, et plus particulièrement ceux qui oeuvrent dans les monts métallifères.
On n’imagine pas l’apport à la Civilisation qu’est l’invention bienfaitrice du casse-noix. Au premier abord, cela semble peu de choses. Mais je connais des noix résistantes qui n’ont jamais dit leur dernier mot, même sous les instruments de torture les plus sophistiqués.
Pour tout les détails techniques nécessaires à cet article, je vous invite à vous reporter à l’excellent article communautaire publié par Wikipedia, au mot français « casse-noix », sans avoir, hélas, pris le temps de comparer les versions linguistiques dont certaines peuvent être plus pauvres ou enrichissantes. A ce jour, il existe vingt-trois versions linguistiques, dont celle en tagalog ou tagal « un dialecte du rameau des langues philippines de la branche malayo-polynésienne des langues austronésiennes ». Il me semble que les experts talagog du casse-noix disposent d’une version beaucoup plus enrichie, en tout cas beaucoup plus joyeuse, avec de fort belles illustrations et j’y ai appris que le casse-noix était un symbole intemporel de Noël, ce que j’ignorais. Que ces experts en soient bénis.
Pour en revenir à l’invention du casse-noix, ami perspicace, vous n’êtes pas sans connaître qu’il est possible de recourir à trois principes physiques que sont la percussion, la démultiplication de la force et la pression par une vis, tous principes bien utiles pour s’attaquer aux noix récalcitrantes. Certes, comme le notent judicieusement les auteurs en langue française de Wikipédia, cet ustensile ou plutôt instrument de cuisine, utilisé aussi à table, [est] d’un emploi relativement limité. Le procédé d’écrasement le plus retenu est celui de la pince, qui n’est pas sans inconvénient d’ailleurs car il peut aussi pincer la peau de la main, croyez-en votre serviteur. Quant au procédé à vis, plus rare et qui permet « un écrasement progressif de la coquille« , son emploi ne serait pas pratique, ce qui est dommage, reconnaissons-le.
En définitive, le procédé à percussion, fondé sur le principe du marteau et de l’enclûme, serait selon ces auteurs, le plus ancien : c’est celui qu’emploient les primates pour casser leur noix entre deux pierres. C’est celui utilisé traditionnellement dans les régions de production des noix lors des séances d’énoisage, qui consiste à frapper les noix d’un coup sec et bien dosé, à l’aide d’un maillet de bois, pour briser la coquille et extraire les cerneaux intacts.
Pour nous qui appartenons à la Civilisation des cerneaux, il nous est possible de décorer les casse-noix à levier comme en Allemagne dans les monts métallifères où le climat est rude l’hiver. Nous pouvons aussi admirer une oeuvre préraphaélite du XIXème, d’un certain Millais qui n’est pas Millet, oeuvre dans laquelle figure un personnage au premier plan à gauche qui s’escrime à briser une coquille au casse-noix. Il nous est aussi loisible de nous rendre au musée du casse-noix de Levinworth à Washington et de consulter le livre de Robert Mills, Nutcrackers, édité en 2001 chez Shire Publications. Bon, d’accord, l’ouvrage ne fait que quarante pages, mais c’est un début prometteur.
Et c’est ainsi que notre Civilisation est grande, et qu’il nous faut remercier « le primate« , bienfaiteur de l’humanité pour l’invention du casse-noix. Deux pierres suffisent. Cela dit, on ne pense pas forcément à cette solution, on ne se promène pas toujours avec deux pierres sur soi, et la dernière fois que j’ai fait une tentative de cette nature en frappant des noix fraîches « d’un coup sec et bien dosé« , c’est le pouce qui a été écrasé et la noix qui a roulé, saine et sauve.
Comme quoi, il arrive, hélas, que « le primate » ait un coup d’avance.
Contresigné Félix Potin, en hommage à Cabu et les autres, au souvenir du Grand Duduche, de l’adjudant Kronenbourg et du Beauf, le 8 janvier 2015, un ancien lecteur de Pilote, ami de la presse et de la liberté, une et indivisible.
PS : La rubrique « les Bienfaiteurs de l’humanité » est placée sous le patronage d’Alexandre Vialatte, longtemps auteur de chroniques au journal « La Montagne », de Gotlib et la regrettée Rubrique-à-brac, et enfin des éditoriaux d’Hubert Beuve-Méry. Si les actuels lecteurs du journal Le Monde ne voient pas le rapport, et bien, qu’ils creusent, les fossoyeurs sont là !