God saved Notre-Dame de Paris

Dans une précédente chronique datée d’avril 2019, consacrée aux pierres vivantes sous les décombres, il etait question de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, où nombre de visiteurs venaient pour prier et élever un édifice spirituel placé sous la protection des voûtes de pierres et de la charpente en chênes des forêts celtes d’antan, qui, ensemble, donnaient un aspect remarquable à l’ouvrage d’art du moyen-âge.

La basilique ressemblait alors à un puissant vaisseau surgissant de la terre entourée d’ eau, emmené dans les airs par ses deux tours indestructibles.

A l’inverse du Titanic qui sombra dans les eaux glaciales de l’Atlantique avec la majorité de ses passagers du fait d’une conception imprudente de ses architectes, les visiteurs de la cathédrale devaient leur survie éventuelle lors d’un incendie aux bâtisseurs de l’édifice qui avaient envisagé que la charpente certes brûla, sans pour autant que les voûtes ne s’effondrent, sans prévoir pour autant qu’ une nouvelle flèche d’apparat imprudemment ajoutée au 19eme siėcle, ne vienne tout emporter de par son effondrement engendré par le feu.

Ce que les pompiers ont sauvé, ce ne sont pas les visiteurs dans la cathédrale, hors des lieux à leur arrivée, mais, et c’est déjà beaucoup, les murs, le trésor de la cathédrale et autres biens culturels pour reprendre le jargon ambiancé d’un Etat impudent.

Et pourtant ! imaginez un capitaine de paquebot qui trouverait inutile d’embarquer des chaloupes de survie ou des lances à incendie sous prétexte que le navire est entouré d’eau et qu’un seau suffit à étouffer un commencement d’incendie.

Et pourtant ! appliqué à Notre-Dame de Paris, ce fut exactement le raisonnement du propriétaire qui se trouve être l’Etat depuis que les cathédrales sont devenues « Biens de la Nation » sous la Révolution :

– l’Etat a trouvé inutile que les pompiers de Paris disposent d’une grande échelle ou d’une nacelle susceptibles d’approcher le toit de la cathédrale pour combattre le feu où les hauteurs des tours culminent à 69 mètres, obligeant à recourir aux moyens de la caserne de Versailles qui disposent de deux échelles de 46 mètres, mais n’arriveront en renfort qu’une heure après le début de l’incendie.

– Mieux encore. Il semble que la bureaucratie étatique a trouvé inutile de conserver dans Paris la grande échelle de 45 mètres pour n’en conserver qu’une de 30 mètres, incapable d’atteindre les toits, sous le prétexte invraisemblable qu’elle ne servait jamais ou presque, belle preuve d’impéritie.

Et pourtant ! s’il n’y avait que cette histoire de grande échelle trop petite ! Les soldats du feu ont bien trouvé dans les tours et le transept les colonnes sèches permettant à des tuyaux fixes d’alimenter les lances, mais d’un débit juste suffisant pour éteindre un début d’incendie mais en aucun cas un brasier, obligeant les pompiers à battre en retraite pour revenir plus tard avec des « lances quatre ou cinq fois plus puissantes ».

Autant de temps perdu qui n’a laissé aucune chance aux combattants du feu pour sauver alors Notre-Dame.

Imaginez encore un capitaine de navire qui laisserait les passagers jeter par-dessus bord les chaloupes sous prétexte d’augmenter la place donnée aux transats sur les ponts !

C’est exactement ce qui s’est passé à Notre-Dame où des installations électriques auraient fleuri depuis de nombreuses années dans la charpente de bois et la flèche, en des lieux boisés donc, où les règles élémentaires de sécurité proscrivent absolument l’implantation d’équipements électriques même s’il s’agissait de faire tintinnabuler les cloches de la flèche située au-dessus de la nef lors des offices religieux.

Il était de la responsabilité de l’Etat d’appliquer à Notre-Dame les règles en matière de sécurité incendie, qui concernent les établissements recevant du public, répondant à l’acronyme bien-connu ERP.

Non seulement les administrations chargées de protéger le monument s’en sont affranchies mais elles n’ont pas tenues compte des avertissements et recommandations recueillies en 2016 auprès de spécialistes en la matière, qui ont donné lieu à la remise d’un rapport vite classé « confidentiel », intitulé assez curieusement  » La Cathédrale durable », un paradoxe s’agissant d’un monument dans son neuvième siècle d’existence.

Le rapport mettait en exergue les risques d’incendie au niveau de la charpente, qui résulterait en l’occurrence d’une action volontairement malveillante au sein même de la cathédrale. Les auteurs s’étonnaient qu’aucun dispositif d’arrosage automatique en cas d’embrasement, n’ait été installé dans la charpente et la flèche.

On passe sur le fait que là où deux surveillants étaient requis pour le système de vidéo-surveillance, il n’y en eut qu’un le jour de l’incendie et qu’aucune surveillance nocturne n’ait été prévue la nuit après vingt-trois heures, en s’en remettant sagement au sommeil léger du concierge.

D’une certaine façon, l’Etat pour une fois a fait preuve de prévoyance, puisque le feu a pris en fin de journée. Il n’y a pas de sottes économies.

Toutes ces négligences ont coûté bien plus que les investissements nécessaires pour reconstruire la cathédrale, le fameux milliard des donateurs.

Là où les propriétaires sensés qui disposeraient d’un patrimoine d’une valeur d’un milliard d’euros y consacreraient le budget nécessaire en matière de sécurité, l’Etat, d’économie de bout de chandelle en bout de cierge et bougies, a mis l’édifice en insécurité, ce qui est d’autant plus impensable qu’il est son propre assureur depuis une loi votée à la fin du dix-neuvième siècle.

On pourrait imaginer que l’économie de prime d’assurance aurait été investie dans la sécurité et l’entretien « en bon père de famille ». Point du tout !

L’Etat n’a cessé de réduire les budgets consacrés à l’entretien et la rénovation des monuments historiques. Ceux-ci ne dépassent pas 330 millions, et ne sont même pas entièrement dépensés chaque année, la consommation effective des crédits budgétaires aboutissant à un rabot discret de 6 à 16% selon les ans, rarement mentionné dans les documents d’un administration à bout de souffle au point de ne savoir utiliser les maigres crédits dont elles disposent.

Et peut-être cela est-il préférable. Car les immolations par le feu des monuments historiques interviennent le plus souvent lors de travaux d’entretien ou rénovation.

Ces années-ci, on évoquait le sort funeste de cathédrales ayant précédé Notre-Dame dans cette destinée dantesque, on en oublie les monuments civils : Chaillot, le palais des ducs de Bretagne ou celui de Lunéville, et même l’hôtel de Matignon où les pompiers rencontrèrent bien des difficultés pour sauver la résidence du Premier ministre de la destruction totale lorsque le feu prit au premier étage, au milieu du bric-à-brac d’installations électriques superposées depuis des années.

Il ne faut pas être grand clerc pour supposer que les mêmes causes provoquant les mêmes effets, les désordres électriques sous la charpente et dans la flèche de Notre-Dame ont engendré le feu le plus stupéfiant du siècle devant un public planétaire statufié.

Tous ces faits sont évoqués dans la presse, les rapports cités sans qu’ils soient accessibles à ce jour. Les investigations commencées avec fougue, se poursuivent au rythme tristement habituel des institutions judiciaires françaises, peu pressées de remuer les cendres sous la tunique de Saint-Louis.

Pour le moment, elles mégotent et compte les fumeurs sur les échafaudages, interrogent les ouvriers sur les pauses casse-croûte et cherche à dénouer l’imbroglio linguistique entre un régisseur et un surveillant pour déterminer lesquels dans ce petit monde pagnolesque sera désigné lampiste d’or de l’incendie.

Or, les responsables de cet invraisemblable incendie du siècle ne sont pas là. Ils se nichent non pas sous la charpente et la flèche de la cathédrale, avec les abeilles et les faucons crécelles ; ils sont dans les bureaux des administrations de l’Etat impudique qui se drape dans son ignorance cardinale pour manifester sa joie hypocrite de voir resurgir des cendres, le Vaisseau millénaire de la nation française, effaçant sur l’ardoise magique du Trésor, un milliard de depenses dans les comptes publics au titre de donations et dépenses fiscales, des réductions d’impôt dont nul ne sait le montant final au nom du « confidentiel dépense ».

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