Du cadran solaire peint sur la façade du presbytère du bourg d’Aiguilles-en-Queras, il ne reste que des traces dont on ne devine même plus la devise gravée par Zarbula en 1851, « Quotidie morior« , paroles reprises de la 1ère lettre de Paul aux Corinthiens, chapitre XV, verset 31, le plus souvent traduites ainsi : Chaque jour, je meurs.
Les cadrans solaires du Queyras sont un art populaire utile en vogue aux XVIIIè et XIXè siècles : paroisses, bourgeois et riches paysans faisaient alors appel à des artistes ambulants souvent venus d’Italie, qui décoraient ainsi les façades d’église,de demeures ou fermes, avant que les horloges et les montres ne vinssent mettre fin à ces travaux décoratifs où les pigments écarlates étaient pimentés de devises sombres destinées à faire réfléchir les passants en soulignant le plus souvent la brièveté de la vie, ce qui, faut-il le remarquer, est assez juste et bien vu, c’est bien connu, on fait moins le mariole à soixante ans qu’à vingt ans.
Cadran – horloge de l’église d’Aiguilles-en-Queyras
Aussi, la devise du cadran solaire, Chaque jour je meurs, est-elle une invitation à la méditation, d’autant que ces paroles ont été effacées par le temps qui passe. Mais par où commencer et terminer puisque nous mourons chaque jour, ce qui laisse à la fois peu de temps pour la réflexion et suscite la perplexité car il arrive par inadvertance que le lendemain nous soyons encore là sans avoir trépassé depuis la veille. Mourir chaque jour est donc loin d’être évident.
Cadran de l’ancienne maison du Queyras à Aiguilles-en-Queyras
Heureusement, il existe des auteurs qui nous permettent de mourir chaque jour sans prendre trop le temps de se lancer dans des méditations infinies jusqu’à traverser la nuit en implorant le jour de ne pas se précipiter. Armand Jean le Bouthillier de Rancé a eu l’excellente idée de traverser le dix-septième siècle pour nous éclairer sur ces paroles de Paul en lui consacrant une instruction destinée à la profession d’un religieux lors d’une conférence faite le jour de l’Assomption de la sainte Vierge, ce qui est assez logique puisque le chapitre quinze de la première épître aux Corinthiens de Paul est consacrée à la résurrection, sujet autrement épineux que l’étude mystique des mérites médicinaux de la bouillabaisse bio qui constitue notre désolant quotidien, à se désespérer d’être toujours en vie le lendemain de noyade dans une triste assiette. On comprend mieux en lisant cette troisième instruction de Rancé que Chateaubriand ait consacré tout un livre à la vie de ce trappiste qui s’y connaissait en stricte observance, non seulement le bonhomme monastique ne plaisante pas avec la foi, mais il a le don de nous propulser dans un univers en voie de disparition, qui est celui de l’intelligence humaine maintenant qu’il paraît que l’intelligence artificielle de robots grincheux s’apprête à dirige le monde à notre place.
Et bien, avant que les robots n’écrivent comme Rancé une instruction sur la résurrection, il faudra encore un peu de temps, dès lors qu’il est promis aux robots l’éternité sans possibilité de mourir chaque jour. Car le paradoxe est là, il nous faut mourir chaque jour pour que nous puissions vivre, et sans cette mort quotidienne à laquelle nous sommes voués, nous ne pouvons bien vivre, sauf à laisser résonner et raisonner les écrits de ce formidable trappiste capable de nous faire oublier un instant qui est de toute éternité, la mise en bière : Mes frères, je vous le dis à tous : la mort n’est dure qu’à ceux qui sont attachés au monde, qui en aiment les voluptés et les amusements parce que leurs biens sont présents. Et comme ils n’ont rien à attendre de l’avenir, le coup qui leur ôte la vie, leur ôte tout. Et par conséquent, il ne leur reste pour partage que la désolation et la tristesse ; mais pour de vrais Solitaires comme vous devez l’être, qui n’ont que du mépris pour tout ce qui est ici-bas, et qui vivent uniquement dans la foi et le désir des choses éternelles, se pourrait-il faire qu’ils vissent avec peine le moment qui doit en assurer la jouissance, puisque bien loin de leur en faire aucune, il se peut dire, qu’il doit être toute leur leur joie et leur consolation ?
Réussir sa sortie n’est pas donné à tout le monde. Ici, les funérailles de Mgr Ruch à Strasbourg en 1945
N’ayant rien à attendre des biens matériels et de l’avenir qui ne mérite notre attachement au monde, il faut effectivement imaginer que la joie et la consolation se trouvent ici-bas quand nous mourons chaque jour. Ce qui n’empêche pas d’apprendre à choisir une dernière bière.
Entre Chimay et Rochefort, notre coeur balance.