L’écriture, c’est comme le patinage artistique, il y a des figures libres et des exercices imposés. L’auteur virtuel qui fait dans la figuration ne s’encombre pas d’exercices: il n’a aucune obligation par principe et n’envisage pas d’adhérer à un club de majorettes pour éviter le sort de cette jeune fille pithivérienne rentrant seule chez elle, sur les chemins de la Beauce si on en croit cette photographie de Robert Doisneau. Mais il ne dédaigne pas d’écrire des articles sur un thème ardemment souhaité par une lectrice ou un lecteur dès lors que la demande ne se limite pas à écrire des banalités dites collaboratives qui ne sont que des articles formatés d’encyclopédie constitués du plus petit dénominateur commun entre auteurs.
Roses anciennes du jardin de morailles à Pithiviers-le-Vieil.
Voici donc avec cet article sur Pithiviers, notre modeste contribution au patrimoine de l’humanité en s’intéressant à une bourgade qui réserve de nombreuses suprises dont la moindre n’est pas justement Pithiviers et sa gare hélas, mais encore les roses anciennes, le safran et la betterave.
N’empêche que le monde entier connaît Pithiviers et sa galette qui est à la pâtisserie ce que le croissant est à la viennoiserie, la baguette à la boulangerie et le café au Liégeois. On en mange sans le savoir, sans s’en apercevoir tous les ans pendant un mois au moins, en janvier, car le véritable Pithiviers, l’authentique Pithiviers n’est ni plus ni moins que la célèbre galette des rois qui fait le bonheur des boulangers et des dentistes quand une dent qui n’est pas d’acier mais d’ivoire rencontre une fève en métal.
Le Pithiviers est l’authentique dessert des rois
Et si vous me demandez ce qu’est le bonheur, c’est d’accepter par forfanterie d’écrire un article sur Pithiviers : on imagine tout de suite que l’on va se raccrocher à une recette de pithiviers, que l’affaire est jouée, pas du tout, on se retrouve à tirer les rois. Car à chaque fois que vous mangez une galette des rois, vous mangez le véritable pithiviers, le seul et unique pithiviers qui n’est pas le gâteau connu sous le nom de pithiviers. Il s’en vend des millions et les Anglais, comme toujours fâchés avec la farine, nous envient : car si nous n’avons plus de roi, nous pouvons en république choisir notre reine dès lors qu’on tire la fève, et surtout pas l’inverse, very shocking indeed !
Au poireau, au canard ou au chocolat, le pithiviers tel qu’en lui-même, authentiquement antique
D’accord, les spécialistes étudient encore la question, les anthropologues recherchent des feuillets de pithiviers pour savoir si la pâte d’amande est bien d’invention romaine et quelles sont les mystérieuses relations entretenues par le pithiviers feuilleté, le pithiviers fondant et la galette des rois au cours des siècles. La vie est ainsi faite que personne n’a songé à déposer le brevet d’invention du pithiviers au Moyen-âge ou à la Renaissance, ce qui permet de dater l’introduction des amandes dans la recette idéale aux Carolingiens, Mérovingiens et même aux Romains tout en excluant les Grecs, le pithiviers ne se mangeant pas en salade.
Le fondant de pithiviers
Un Pithiviers peut donc en cacher un autre, c’est certain et cela se confirme. La réputation de la ville souffre d’une malédiction, celle des villes paisibles ciblées au hasard par des criminels organisés en bande pour y commettre des crimes de masse. Dans de précédents articles, nous avons évoqués le triste sort d’Orianenburg, cette petite ville allemande si tranquille que les nazis choisirent pour édifier le premier camp de concentration dès 1933 et qui devint un camp de la mort, celui de Sachsenhausen aux origines du terrorisme nazi.
Arrivée de Juifs de Paris au camp de transit de Pithiviers, 1941
Pithiviers, hélas, a subi le même sort. Cette petite ville française tranquille a été choisie pour les mêmes motifs d’organisation de convois et de logique de transport, comme camp d’internement puis de transit vers les camps d’extermination pendant la Seconde guerre mondiale. Car Pithiviers a toujours été au carrefour de deux routes, celles de la Champagne vers la Normandie et de la Loire à la Seine. Les habitants de Pithiviers qui sont appelés les Pithivériens, tentent d’oublier cette monstrueuse histoire dont ils ont été les témoins involontaires, il n’empêche, le mal est fait et pour toujours.
Gare de Pithiviers d’où arrivaient et repartaient les convois de Juifs pendant la guerre
A l’origine, au tout début de la guerre, le gouvernement français avait envisagé l’hypothèse que des soldats allemands pourraient être faits prisonniers et donc, des camps de prisonniers pour les recevoir ont été construits à Pithiviers qui avait déjà recueilli en nombre des exilés républicains espagnols peu auparavant. Le désastre de mai-juin 1940, loin de remplir le camp de prisonniers allemands permit à ces derniers d’utiliser les installations pour y accueillir leurs prisonniers de guerre français. Avec l’armistice et le transfert des prisonniers de guerre vers l’Allemagne comme travailleurs forcés, le camp se vida. C’est alors qu’il trouva sa destination finale, transformé en camp de transit par les bourreaux nazis avec la complicité du régime de Vichy. Il se trouvait en effet que ce camp était idéalement placé, à proximité de Paris et au milieu d’un noeud ferroviaire permettant de transporter les Juifs comme du bétail vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Célébration de Passover Seder (terme anglais) au camp de Pithiviers en 1942. Il s’agit d’un rituel en souvenir de la sortie des Juifs d’Egypte (Livre de l’Exode)
Et c’est ainsi qu’en mai 1941 puis en juillet 1942, le camp de transit de Pithiviers accueillit un grand nombre des Juifs victimes de la première rafle dite du « billet vert » » puis de celle dite du Vél’ d’hiv’, organisées par le régime de Vichy pour le compte des nazis. Toutes les familles ayant des enfants furent envoyés vers les deux camps du Loiret, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, les juifs sans enfants étant dirigés vers Drancy.
Les camps d’internement étaient placés sous l’autorité de la gendarmerie nationale
Ce sont au total plus de 16.000 Juifs qui transitèrent dans les baraquements des deux camps du Loiret dont à peine 2% revinrent vivants des camps à la Libération, en 1945. Parmi les victimes ayant hélas séjourné à Pithiviers dans ces conditions atroces, deux illustres écrivains, le poète Max Jacob qui avait le tort de vivre en toute simplicité à proximité, à Saint-Benoît-sur-loire, et Irène Nemirovsky la romancière.
Camp de Pithiviers placé sous la garde de la gendarmerie
Vue aérienne du camp d’internement de Pithiviers en 1941
Ultime précision qui a son importance. Tous les parents furent déportés par convois vers l’Allemagne, entre le 31 juillet et le 7 août 1942. 3.000 enfants restèrent seuls dans les camps, dans une immense détresse, avant d’être transféres à Drancy pour être déportés avec d’autres adultes Juifs arrêtés en zone libre et livrés par le régime de Vichy, car le règlement nazi interdisait les convois constitués uniquement d’enfants. Aucun de ces enfants ne revint vivant.
Juifs parisiens débarquant à Pithiviers par le train et traversant les rues de la ville sous surveillance de la gendarmerie
Si nous oublions un temps, la pâtisserie qui fait le bonheur de nos enfants ainsi que l’histoire impitoyable de ce camp d’internement, la ville de Pithiviers, située au milieu de la Beauce céréalière, n’est pas sans charme, un charme provincial tranquille et aimable.
La municipalité qui est imaginative a organisé un « circuit découverte » qui permet de visiter l’église Saint-Salomon – Saint-Grégoire, les vestiges de la collégiale Saint Georges et sa crypte, et même un chemin de fer touristique où les locomotives font teuf-teuf, sur l’ancien réseau local betteravier, preuve supplémentaire de l’imagination créatrice des hommes puisque la beterrave ne sert pas simplement à extraire du sucre, produire de la mélasse mais aussi un jour à se promener sur les voies de chemins de fer vétustes au milieu de la Beauce monotone.
Le petit train dans la prairie, à proximité de Pithiviers
Arrivage des Betteraves à la sucrerie de Pithiviers
La Beauce n’est d’ailleurs pas si paisible et céréalière que cela. On s’y est beaucoup battu pendant les guerres de Religion. C’est qu’il fallait bien vivre avant de s’entre-tuer. Et disposer des entrepôts céréaliers y aidait. Les environs témoignent que la préoccupation de se nourrir ne date pas d’aujourd’hui ou d’hier. Déjà les Gallo-Romains occupaient les lieux, et comme toujours ou presque, ils n’ont laissé que des vestiges pour toute trace d’occupation en fermant la porte des ruines, ce qui donne aujourd’hui du travail aux archéologues pour reconstituer les villas, heureux hommes !
Thermes gallo-romains de Pithiviers-le-Vieil
A Pithiviers, le bonheur n’est pas que dans la betterave, il est aussi dans la rose et dans le safran. On peut visiter un jardin de roses anciennes ou encore un musée du safran, preuve une nouvelle fois de l’inventivité de l’homme et du Pithivérien plus spécialement.
On le sait peu, mais le safran n’est pas qu’une entreprise, c’est encore une épice qui n’est pas aussi persane que cela: le Cachemire et les Grecs revendiquent cet « or rouge ». le Pithivérien aussi, et il a bien raison. Le crocus pousse partout, il suffit de le cultiver.
Cueillette du safran à Pithiviers
Et puis la Beauce n’est pas ce que l’on croit. On imagine des champs de blé et de la richesse à perte de vue. Pas du tout ! Entre deux gerbes, on y trouve des châteaux plus beaux les uns que les autres, preuve que la région était riche à défaut que ce soit aujourd’hui la ville même de Pithiviers, confrontée comme toutes les petites villes de France ou presque au déclin industriel et à la perte de compétitivité. Le taux de chômage y est de 13,4%, trois points au-dessus de la moyenne nationale. Ce ne sont pourtant pas les ronds-points qui manquent pour relancer les travaux publics locaux !
Pour occuper le temps, il est donc possible de faire le tour des manoirs et des châteaux. pas besoin d’aller bien loin hors de Pithiviers. A 3 km, on trouve le manoir fortifié de Bonderoy, fief de la famille de la Taille qui compte parmi ses illustres ancêtres Jehan de la taille, auteur de la célèbre règle des trois unités du théâtre classique, sans laquelle aucune représentation n’est possible., car comment créer en dehors du temps, du lieu et de l’espace ?
Le manoir de Bonderoy
A 4 km au sud de Pithiviers, à Dadonville, se trouve encore le château de Denainvilliers, demeure du grand homme de science que fut Henri-Louis Duhamel du Monceau dont vous ignorez probablement tout, tout comme l’auteur qui s’en rapporte à sa biographie.
Le château de Denainvilliers est de style Louis XIII
Fondateur de l’agronomie et de la syviculture modernes, architecte naval, inventeur trouve-tout, il inspire involontairement Adam Smith qui reprend pour son livre sur » la Richesse des nations« , l’expression et l’exemple de Monceau consacrés à la division du travail dans son introduction à l’Art de l’épinglier, écrit par Réaumur : Il n’y a personne qui ne soit étonné du bas prix des épingles ; mais la surprise augmentera sans doute quand on saura combien de différentes opérations, la plûpart fort délicates, sont indispensablement nécessaires pour faire une bonne épingle. Nous allons parcourir en peu de mots ces opérations pour faire naître l’envie d’en connoître les détails ; cette énumération nous fournira autant d’articles qui feront la division de ce travail. » Comme quoi, une nouvelle fois il est apporté la preuve que les Français inventent, mais que les Anglais imitent avec succès !
Duhamel du Monceau, grand scientifique des Lumières
Un peu plus loin, à 6 km à l’Est se trouve l’un des plus beaux villages de France, Yèvre-le-Châtel, où l’on découvre les ruines d’une forteresse médiévale et ses remparts protégeant l’église saint-Gault et les vestiges d’une autre Saint-Lubin :
Pour les plus aventureux, à 11 km à l’Est de Pithiviers, nul besoin de se rendre au Vatican, la « petite sixtine du Loiret » offre plus de 100 m² de peintures murales du XVIIème siècle, à l’intérieur de la chapelle Saint-Hubert de Courcelles :
Et plus loin encore, à 17 km au sud, on peut se rendre au château de Chamerolles à Chilleurs-aux-bois, à condition de bien prononcer le toponyme à ailes! Construit à la Renaissance en calcaire de Beauce et en brique, c’est un édifice de toute beauté qui a été rénové par le conseil général du Loiret alors qu’il courait à la ruine jusqu’au début des années 80. Initialement, le château a été bâti par Lancelot Ier du lac qui n’a rien à voir avec la légende du roi Arthur. Il était chambellan du roi de France sous Louis XII puis bailli du Loiret sous François Ier, une époque où l’on savait construire des châteaux. Son jardin figure parmi les « jardins remarquables » de France.
Ainsi Pithiviers confirme que la pâtisserie est un art qui peut être tout en amandes et qu’en matière de construction, les châteaux de la Renaissance ont une durée de vie bien supérieure aux baraquements de transit du vingtième siècle dont l’architecture ne laissera pas de grands souvenirs dans la mesure où les tours vertigineuses n’affichent que les prétentions d’un monde d’illusions contemporaines fondées sur le profit souvent, et parfois la violence.
La place du Matroi et son marché hebdomadaire vous attend
Victime elle-aussi d’une histoire qu’elle n’a pas choisi, c’est pourquoi, dans la douleur de souvenirs qui jamais ne s’apaiserons, nous aimons Pithiviers, son bourg, son marché, son collecteur des impôts et toutes celles et tous ceux qui y vivent et y travaillent au quotidien. Dans la simplicité ou la difficulté des quartiers excentrés, ils sont le reflet d’une France oubliée, celle qui ne se plaint pas et qui souffre, mais qui, chaque année, en tirant les rois avec les enfants en joie, gardent l’espoir que demain la vie sera meilleure. Et ils ont bien raison, car c’est dans l’espérance que les Pithivériens doivent vivre, comme tout un chacun, en se souvenant que, quoiqu’il arrive, Pithiviers sera toujours Pithiviers, avec sa diligence et les gens de chez Languille.
Et pour conclure, tous ceux qui veulent connaître un peu plus l’histoire abominable du camp de transit de Pithiviers peuvent consulter l’article : le camp d’hébergement de Pithiviers, une tragédie française. Côté hébergement on a fait mieux. En revanche, pour la tragédie, rien de plus impitoyable, hélas !
Qui sait encore bâtir une meule de paille ? les Pithivériens, bien sûr !