Malheur aux vaincus est ce que réserve habituellement le sort des armes. L’expression provient du latin Vae victis. Elle est associée au vainqueur qui dispose à la fin du combat de tous les droits sur le vaincu, à l’exemple du chef des Sennons, Brennos, truquant les poids pour fixer la rançon que les Romains eurent à verser en contrepartie de la renonciation des Gaulois à conquérir Rome en 390 avant Jésus-Christ.
Il existe cependant des situations où la grandeur d’âme l’emporte sur l’esprit de haine ou de gain. Il en est ainsi du geste du généralissime des armées vendéennes à saint-Florent-le-Vieil, passé sous silence dans les livres d’histoire de nos enfants, car ce geste déroge à tous les principes vengeurs qui constituent la morale quotidienne de notre prétendue civilisation. (Ci-dessus, Le tombeau de Bonchamps, généralissime de l’armée catholique et royale, à Saint-Florent-le-Vieil).
Les faits se sont déroulés voici plus de deux siècles, en octobre 1793 pour être précis, en Anjou, au bourg de Saint-Florent-le-Vieil. Pour ceux qui ne connaissent pas ce lieu, l’endroit est magnifique. La ville est construite sur un éperon rocheux qui domine la Loire et qui serait habité depuis la fin de l’âge du bronze ou le début de l’âge de fer. L’éperon étant occupé par les Romains, une église est construite sur le promontoire au IVème siècle, qui devient un monastère au VIIème siècle, avant que les Vikings ne viennent y semer la désolation au IXème siècle et s’installer sur l’île batailleuse qui fait face à Saint-Florent, pour lancer leurs attaques dans toute la région. Après s’être emparé des Mauges au début de l’an 1000, Foulques Nerra, comte d’Anjou relèvera l’abbaye sous la protection d’une forteresse qu’il érige et dont il reste les traces discrètes du donjon.
Les années et les siècles passent lorsque la Révolution éclate. Peu après la mort du roi, le 21 janvier 1793, comme le raconte d‘Elbée, chef des armées vendéennes, dans son interrogatoire par les vainqueurs, le 20 nivôse de l’an 2 de la République, des rassemblements spontanés en différentes places des Mauges à compter de mars 1793, ont conduit à la levée d’une armée qui avait pour but initial que de se soustraire à la levée des troupes républicaines destinées à défendre les frontières. Il devint bientôt après, celui de défendre le trône et le clergé.
Il n’est point dans nos intentions de raconter la suite qui mériterait de longs développements pour raconter ce qui allait devenir la guerre civile la plus effroyable depuis les Guerres de religion et qui demeure, à ce jour, la guerre entre Français la plus violente, avec 250.000 à 300.000 vendéens tués dans les événements, et de l’ordre de 100.000 du côté républicain, pour une population qui ne dépassait guère plus d’un million dans le quadrilatère dit de la Vendée militaire » couvrant le sud actuel de l’Anjou et de la Loire-Atlantique ainsi que le nord de la Vendée et des Deux-Sèvres.
L’épisode qui nous intéresse intervient dans la journée qui suit la défaite des Vendéens à Cholet, le 17 octobre 1793. D’Elbée et Bonchamps, leurs généraux, sont blessés ou mortellement blessés ; l’armée, suivie d’une masse de civils cherchant à échapper à la fureur républicaine, se replie en désordre vers le nord pour déboucher sur la Loire à Saint-Florent-le-Vieil, où s’organise ce que Napoléon Bonaparte appellera, avec admiration, le plus grand transbordement naval de l’histoire. Là, en guère plus d’une nuit et un jour d’automne, de 70.000 à 100.000 personnes, femmes, enfants, soldats, traversent la Loire en crue sur des barques réquisitionnées dans les environs proches.
Il ne reste plus bientôt sur la rive gauche, au pied de l’église que le généralissime de l’armée vendéenne, blessé à mort, allongé sur un brancard, quelques soldats de l’armée vendéenne autour de son chef, et quatre à cinq mille soldats républicains prisonniers enfermés dans l’abbaye qui jouxte l’église. L’intention des rebelles vendéens est de tous les tuer. Le marquis de Bonchamps, généralissime des armées vendéennes, se soulève péniblement de son brancard, lève la main et s’y oppose en prononçant cette phrase : Grâce aux prisonniers !, qui résonne désormais pour l’éternité quand un conflit surgit.
Le chefs vendéens protestent auprès de Bonchamps. Ils avancent comme arguments que si les prisonniers sont libérés, ils viendront renforcer l’armée républicaine à leur poursuite et n’auront pas autant de scrupules pour massacrer femmes et enfants. Bonchamps réplique que dans ce cas, il faut leur faire prêter serment qu’ils ne rejoindront pas les rangs des Bleus. Le nouveau généralissime élu pour succéder à Bonchamps , le marquis Henri de la Rochejacquelein a seulement vingt ans. Il rallie les autres chefs au geste de pardon de Bonchamps qui meurt. Tous les prisonniers républicains prêtent serment et sont libérés. Certains éviteront de rejoindre les rangs de l’armée bleue, d’autre la rejoindront volontairement au mépris de leur serment et le plus grand nombre sera repris de force pour marcher sur les Blancs, errant sur les routes au nord de la Loire pour rallier un port de la Manche, entreprenant ce qui allait devenir la Virée de galerne. Les craintes exprimées par les chefs vendéens que les prisonniers libérés deviennent les bourreaux des libérateurs se confirmeront dans les semaines qui suivent jusqu’aux massacres dans les rues du Mans et de Mayenne puis dans les marais de Savenay en décembre 1793.
Un homme n’oubliera pas le geste de pardon de Bonchamps, qui sauva tant de vies ennemies. C’est le sculpteur David d’Angers. Son père, soldat républicain, comptait parmi les prisonniers qui furent libérés. Sans ce geste, David d’Angers n’aurait jamais existé et nous n’aurions pas ce magnifique tombeau qu’il a dessiné, sculpté et que l’on peut voir à l’intérieur de l’église de Saint-Florent-le-Vieil. Nous n’aurions pas plus le fronton du Panthéon. Ou le musée qui lui est consacré à Angers.
Amie lectrice, ami lecteur,
si tu passes par l’Anjou, si tu longes les bords de Loire en direction du pays nantais, n’oublie pas d’admirer le fleuve à Saint Florent-le-Vieil , du haut de ce promontoire riche d’une histoire bimillénaire, et rends-toi en l’église bénédictine pour honorer la mémoire de Bonchamps, ce grand général, non par ses faits d’armes mais en raison d’un geste de générosité inouïe en temps de guerre. Admire le travail du sculpteur David d’Angers qui lui a rendu un hommage sans égal, et si tu te rends sur le Pré des martyrs, souviens-toi de tous ceux qui y ont perdu la vie. aucun prisonnier ne doit mourir.
L’église abbatiale de Saint-Florent-le-Vieil où repose le marquis de Bonchamps, l’illustre généralissime qui sauva des milliers de soldats républicains menacés d’exécution sommaire