Le Troglodyte

Eglise troglodytique de l’Annonciation, route de la Vallée, Haute-Isle, dans le Vexin français, entre Vétheuil et La Roche-Guyon, creusée dans les falaises de calcaire en bord de Seine  

L’auteur virtuel a donc bien voulu m’accueillir sur son lieu de travail. La négociation a été compliquée. Pire que Poutine, cet auteur ! Pas de kalachnikov, pas de couteau, on peut comprendre. Mais j’ai laissé au vestiaire, à l’accueil : l’ordinateur, le mobile, la tablette, le bloc note, le stylo, les crayons. J’ai été fouillé au corps par une hôtesse d’accueil à la mine patibulaire, une sorte de mexicaine des cartels, avant de franchir une porte blindée puis passer sous les fourches caudines d’un détecteur de métaux. Je croyais en avoir fini des contrôles alors que trois interrogatoires assez curieux, mais musclés, m’attendaient.

le premier était le questionnaire de Proust, facilement réussi. J’ai répondu à toutes les questions et j’ai remis la copie à un garde du corps, un Malabar originaire des Indes avec un turban, un Sikh me précisa plus tard l’auteur virtuel. On ne peut pas toujours se fier à eux, m’expliqua-t-il, demandez à Indira Gandhi, mais dans l’ensemble ils sont loyaux quand vous ne vous acharnez zpas au Temple d’or, une allusion au Harmandi Sahib d’Amristar, « l’illustre temple de Dieu » du culte sikh, qui fut pris violemment d’assaut par l’armée indienne  sur ordre de la première Ministre indienne, ce qui lui valut en représailles d’être assassinée par ses propres gardes du corps, le 31 octobre 1984.

Le deuxième questionnaire était encore plus étrange quand on y pense, s’agissant d’une simple visite dans l’atelier de l’auteur. Il s’agissait d’un test de Rorscharch. Un homme en blouse blanche de confession psychanalytique, me présenta une série de dix planches sur lesquelles figuraient des taches d’encre symétriques ; il me demanda de les commenter, d’en faire une interprétation libre destinée à une évaluation psychologique. J’envisageais de me rebeller, mais décidé à gagner la confiance de l’auteur, j’acceptais et passait avec succès le test, sans en connaître les résultats définitifs, toujours soumis, à ce jour, à interprétations diverses.

Le dernier interrogatoire fut le plus long et difficile. On me soumit au détecteur de mensonges pendant une heure, une batterie de questions impressionnantes. La machine commença à chauffer, des voyants rouges clignotaient, bientôt de la fumée s’en dégagea. Je croyais avoir lamentablement échoué. Mais je reçus des félicitations d’un chat botté en uniforme noir, colt au ceinturon, avec une casquette à tête de mort sur la tête et une balafre au cou : vous êtes un sacré menteur, pas mal du tout. Mais, pour un journaliste, c’est normal, le contraire nous aurait étonné. Cela n’aurait pas été simplement surprenant, mais carrément inquiétant, ajouta-t-il mi figue mi-raisin. Je crois même que vous détenez la palme du mensonge. C’est le boss qui va être content.

Après trois portes successives à franchir équipées de contrôles d’accès digitaux, rétiniens et morphologiques, un long corridor m’attendait au bout duquel se trouvait le Boss en robe de chambre et babouches, cigarillo aux lèvres, verre de vodka à la main. C’était assez inattendu et pas du tout l’image que j’avais gardée du bonhomme lors d’un précédent entretien. Je me souvins alors de notre premier échange : ne vous arrêtez pas aux images et aux clichés, l’auteur virtuel est assez insaisissable et imprévisible. Appelez-moi Maître.

Et là, clairement, le maître avait l’air un peu fatigué, il avait fait la bamboula. Il est vrai qu’on était au temps du carnaval, du déboulé et du vidé. Et question vidé et déboulé, l’auteur virtuel en imposait. il avait le rythme dans le sang et la danse dans les os. Son esprit avait couru toute la nuit, dans une cavalcade de curiosités qu’il transcrivait maintenant sur du parchemin de sa blanche main qui n’était pas si blanche que cela puisqu’elle était toute ridée par la vermine de la vieillesse et tâchée de l’hermine de la sagesse.

Moucheture d’hermine

J »arrivais enfin au but. J’allais entrer dans l’atelier, quand il me vint une première question :

– Pourquoi tous ces contrôles de sécurité ? Sont-ils bien utiles ?

– Je vous l’accorde, me répondit l’auteur virtuel, c’est une faculté inutile. Mais tenez, par comparaison, quand vous entrez dans la crypte d’une église ancienne, vous devez passer par la nef, un porche, un parvis, parfois par un cloître ou un oratoire, et pour les églises les plus anciennes par le cimetière de la paroisse qui jouxte le lieu de culte. Je vous répète ce que Céline a déjà fort bien dit : la littérature c’est de la mort. Maintenant que vous avez passé le cimetière, franchi le porche, traversé la nef, continuez en prenant l’escalier qui mène à la crypte, accrochez-vous à la rampe, il n’y a pas de lumière, les marches sont anciennes ; le pavé est glissant et usé par les épreuves du temps ; quand le sol sera plat, vous serez alors dans la grotte et vos yeux s’habitueront à l’obscurité qui deviendra lumière.

Au bas de l’escalier, un spectacle inattendu m’attendait : dans le troglodyte se trouvait un troglodyte mignon, un passereau africain qui chantait un air tropical. Ce n’était ni de la samba, ni de la salsa, encore moins du reggae ou du zouk.

Je demandais à l’auteur virtuel ce que ce troglodyte chantait. Du konpa, du compas, du Kompa haïtien, me répondit l’auteur virtuel en s’y reprenant plusieurs fois. Connaissez-vous Beethova Obas ?, poursuivit-il. C’est notre Beethoven moderne. J’écris en écoutant le Kompa de ce passereau africain venu des îles tropicales. Je ne pourrais écrire sans lui, la nuit venue alors que s’éteint le chant des grillons. Le kompa est le chant de l’ancienne colère des naufragés de l’esclavage, pas moins de dix millions de naufragés. Et nous qui sommes vivants, c’est tout ce que nous pouvons faire, écouter ce compas au pas du Vaudou venu de si loin, et qui donne la force de nous souvenir de tous les crimes commis et qui, seul, nous permet d’écrire pour les vivants et les générations futures.

http://www.musiquehaitienne.fr/le-kompa/

http://www.musiquehaitienne.fr/contestation-exil/temoignage-musicien-beethova-obas-paroles/

SFO. Société Française d'Orchidophilie de Poitou-Charentes et Vendée. Oiseaux. Le Troglodyte mignon. (Troglodytes troglodytes)