Ecrivains de la liberté

Les Evangiles

Tout lecteur est susceptible de constituer son panthéon littéraire en procédant à une sélection de ses auteurs préférés. Celle-ci est souvent établie sur un critère tel qu’emporter un certain nombre de livres sur une île déserte pour tuer le temps en attendant le passage au loin d’un cargo qui viendra vous libérer de votre ennui. Il est alors conseillé de se munir de livres volumineux tels que la Bible ou divers exemplaires de la collection de la Pléiade qui a vulgarisé, justement, l’édition sur papier bible. Mais rien ne garantit le passage prochain d’un navire, et l’ennui, entre deux pages lues, ne peut que survenir.

C’est pourquoi il faut veiller aux critères de lecture en toutes circonstances pour dresser un panthéon littéraire susceptible de résister à l’érosion du temps. Et le seul critère qui puisse maintenir un intérêt permanent pour la lecture d’une œuvre confrontée au temps qui passe, c’est de ne retenir que « les écrivains de la liberté ».

Les Évangiles avec les Pères de l'Église

Tous les écrivains sont libres, direz-vous. Il est faux de le croire. La plupart des écrivains sont fâchés avec la liberté, ils n’en ont qu’une faible connaissance ou un vague intérêt quand ils ne rencontrent pas de conflits d’intérêt, financier, matériel ou moral. La liberté ne se décrète pas en matière littéraire comme dans d’innombrables circonstances de la vie. La liberté se vit et ne procède pas d’une volonté affichée ou d’une posture publique ou relationnelle.

Car pour être un « écrivain de la liberté », il faut écrire sans rendre de compte à quiconque, pas même à son éditeur, encore moins au public ou aux critiques. A la rigueur aux saltimbanques ou aux gestionnaires d’actifs, crapuleux en diable à la City ou à Wall Street, carnassiers sans remords de la civilisation des assignats, en ce que vous pouvez être certains que leur jugement est aussi inoxydable qu’un kopeck ne valant guère plus qu’un fifrelin. Un écrivain ne rend de comptes qu’à son œuvre et personne d’autre, en sachant qu’il doit inexorablement s’effacer devant elle au fur et à mesure que celle-ci se construit en suivant les plans d’architecture d’origine. L’écrivain est attaché à son œuvre aussi sûrement qu’un bagnard à son boulet, un boulanger à son pain ou un médecin à son patient. Seule l’œuvre compte, « franche pistole ! »

Ce que dit l'Eglise sur les Evangiles - Opus Dei

Le « Panthéon littéraire »  appartient aux « intelligences secrètes » regroupant les liens invisibles et indivisibles qui constituent la confrérie des écrivains de la liberté,  ceux qui font honneur à l’imagination créatrice et qui sont les bâtisseurs indéboulonnables de la littérature, lorsque cette dernière s’éloignant inéluctablement des rivages morbides de l’écriture en vient à communier avec les êtres et les choses, dans l’oubli même de l’existence antérieure de l’auteur.

Voici trente ans déjà, nous avions établi une première liste d’écrivains de la liberté, au nombre de quarante alors. L’obstination du hasard aidant, nous détenons détiens cette liste qui n’a pas de prétention. Procéder aujourd’hui à ce même exercice, la sélection pourrait être fort différente. C’est qu’une telle  liste est beaucoup plus sélective que le Goncourt ou le Nobel, obligés pour ces derniers, chaque année, de trouver un auteur illustre à récompenser. La notion de récompense s’accorde mal avec celle de la liberté. Les obligations du commerce et de la communication sont incompatibles avec la littérature : imagine-t-on Anne Franck ou Chalamov se prosternant devant un parterre de têtes couronnées, reines, rois et princes du monde ? Certes, il y eut Soljenitsyne, mais nous n’avons pas souvenir qu’Ivan Denissovitch, cette journée-là, ait été invité. Il réside pour toujours en son archipel.

Quarante ans après, l'incroyable histoire de "l'Archipel du Goulag"

Pour conclure provisoirement, suivant des raisons de méthode, ces écrivains de la liberté au nombre de quarante sont devenus soixante quatre au fil des ans, soit autant que le nombre de cases du jeu d’échecs ou des cartes du jeu divinatoire chinois, le Yi-King. C’est un nombre raisonnable quand il s’agit de les emporter dans une malle en cuir d’hippopotame, à destination d’une île déserte, le lieu le plus sûr dans la mesure où la littérature se vit au grand air, au vent ou sous le vent, là où le sablier du temps échappe aux mouvements mécaniques de l’horlogerie humaine.

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Les liens entre le jeu d’échecs et le Yi King demeurent mystérieux, que le parcours complet du cavalier sur le tablier peut éclairer.