Le Vieux de la Montagne, prince des assassins

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Ce qui nous stupéfie le plus dans les attentats perpétrés par le terrorisme islamiste et qui échappe à notre entendement occidental, ce n’est pas le ressentiment archaïque entretenu par Daëch à l’égard du judéo-christianisme, qui trouve ses racines dans une opposition radicale à l’Occident, mais cette relation individuelle à la violence, que nous ne comprenons pas et qui peut se résumer ainsi : comment peut-on éprouver plaisir et fierté de voir l’autre mourir en étant prêt pour cela à y perdre la vie ?

 

Vitrail de la Sainte Chapelle représentant Saint Louis, XIIIè siècle

Comme l’observe René Girard dans l’épilogue à « Achever Clausewitz », ce terrorisme fondé sur des actes suicidaires « est une situation inédite qui exploite les codes islamiques, mais qui n’est pas du tout du ressort de l’islamologie classique. Le terrorisme actuel est nouveau, même d’un point de vue islamique. Il est un effort moderne pour contrer l’instrument le plus puissant et le plus raffiné du monde occidental : sa technologie. Il le fait d’une manière que nous ne comprenons pas, et que l’islam classique ne comprend peut-être pas non plus.  »

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René Girard poursuit : « Il ne suffit donc pas de condamner les attentats. La pensée défensive que nous opposons à ce phénomène n’est pas forcément désir de compréhension. Elle est même souvent désir d’incompréhension, ou volonté de se rassurer. Clausewitz est plus facile à intégrer dans un développement historique. Il nous fournit un outillage intellectuel pour comprendre cette escalade violente. mais où trouve-t-on de telles idées dans l’islamisme ? Le ressentiment moderne, en effet, ne va jamais jusqu’au suicide. Nous n’avons donc pas les chaînes d’analogies qui nous permettraient de comprendre. Je ne dis pas qu’elles ne sont pas possibles, qu’elles ne vont pas apparaître, mais j’avoue mon impuissance à les saisir. c’est pourquoi les explications que nous donnons sont souvent du ressort d’une propagande frauduleuse contre les musulmans. »

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Assassinat du vizir Nizam Al-Mulk par la secte chiite ismaëlienne des assassins

La référence fréquente aux « Vieux de la Montagne » par rapport à Daech est du ressort de cette propagande frauduleuse contre les musulmans, même si le mot »assassins » trouve peut-être son origine dans la secte ismaëlienne nazarite qui occupa pendant deux siècles la forteresse d’Alamut située sur des montagnes distantes de cent kilomètres de Téhéran.  Marco Polo relate dans ses voyages l’existence d’Alamut et de la secte ismaëlienne à partir d’informations indirectes qui vont entretenir le mythe occidental de « l’ordre des assassins » qui recourait au crime, y compris en louant ses services, pour éliminer ses adversaires en employant des « assassins » conditionnés par la consommation du haschisch pour exécuter des missions suicidaires. Pour habile que fut la secte à commettre des assassinats, il n’en reste pas moins qu’elle ne propageait pas un enseignement apocalyptique comme Daech, disposant par ailleurs à Alamût d’une vaste bibliothèque où figuraient des livres grecs et latins.

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Tout d’abord, voici comment la Bibliothèque nationale de France décrit l’enluminure illustrant comment « le Vieux de la montagne » drogue ses disciples pour les inciter à se suicider ». Ce texte est extrait d’une exposition de La BNF consacrée à l’âge d’or des cartes :

« Plus que la doctrine des Nizârites, c’est la terreur qu’ils firent régner dans tout le Moyen-Orient qui les rendit célèbres. Sous la conduite du « Vieux de la Montagne » (Chayr al-Jabal), ils tuèrent plusieurs souverains importants, aussi bien parmi les musulmans que les chrétiens, et Saladin lui-même échappa de peu à un attentat. Ils eurent longtemps la réputation de consommer du haschisch avant de commettre leurs crimes, d’où le nom Assassins qui est depuis passé dans la langue courante. Si cette étymologie est aujourd’hui contestée, le souvenir de la terreur qu’ils inspirèrent reste encore vif.

Comment le Vieux de la Montagne « fait » ses assassins
À leur réveil, les enfants pensent être au Paradis, tant l’endroit est magnifique. Les dames et les demoiselles leur font sans cesse des douceurs. Jamais ils ne penseraient quitter un tel lieu de leur plein gré. Le Vieux de la Montagne tient noble, digne et grande cour, et fait accroire aux hommes de son entourage qu’il est un grand prophète. Et ils le croient réellement. Quand il veut disposer d’un Assassin pour quelque mission, il fait donner à boire d’un certain breuvage à l’un de ceux qui sont dans le jardin. Puis, il le fait porter dans son palais. À son réveil, celui-ci s’humilie profondément devant lui, croyant avoir affaire au vrai prophète. À la question du Vieux : « D’où viens-tu ? », il répond : « Du Paradis. » Et il ajoute que le Paradis est bien comme le dit Mahomet. Son seul rêve est d’y retourner. Quand le Vieux veut faire assassiner un grand seigneur, il dit à ses Assassins : « Allez assassiner un tel. À votre retour, vous retournerez au Paradis, et si par malheur vous mourez, je vous y ferai porter par mes anges ! » Ainsi leur en fait-il accroire. Et ils font tout ce qu’il commande, tant est grand leur désir de retourner dans son Paradis. Et ainsi le Vieux de la Montagne faisait-il supprimer tous ses ennemis. Les seigneurs, qui redoutaient ses sbires, achetaient sa paix et son amitié.

Il raconte la mort du Vieux de la Montagne
En l’an 1242 de l’Incarnation du Christ, Alau, le seigneur des Tartars du Levant, ayant eu connaissance de la cruauté du Vieux de la Montagne, s’avisa de le supprimer. Il lança contre lui un de ses barons avec une armée imposante. Trois années durant, ses hommes assiégèrent son château sans pouvoir le prendre tant il était solide. N’était la famine, jamais ils n’auraient pu en venir à bout. Ils tuèrent alors le Vieux de la Montagne et ses Assassins. Et il n’y en eut plus jamais d’autre. Ainsi mit-il fin aux horribles cruautés du Vieux de la Montagne »

HASAN IBN AL-SABBAH. Temple de Paris

Hasan Ibn Al-Sabbah


Maintenant regardons comment Richard de Bury, dans son  » Histoire de Saint Louis, Roi de France » relate l’ambassade du « prince des assassins » à Saint Louis lorsque celui-ci se trouve en Terre sainte. On y découvre que le « Vieux de la Montagne » n’hésite pas à faire preuve de diplomatie pour se concilier les faveurs du Roi-Très-Chrétien.

Ambassade du prince des assassins à saint Louis.

Telles étaient les occupations du monarque lorsqu’il reçut une ambassade, qui fut pour lui une nouvelle occasion de faire paraître cette grandeur d’ame qui le rendait si digne du trône qu’il occupait.

«Sire, lui dit le chef de cette députation, connaissez-vous monseigneur et maître le Vieux de la Montagne? Non, répondit froidement Louis, mais j’en ai entendu parler. Si cela est, reprit l’ambassadeur, je m’étonne que vous ne lui ayez pas encore envoyé des présens pour vous en faire un ami. C’est un devoir dont s’acquittent régulièrement tous les ans l’empereur d’Allemagne, le roi de Hongrie, le soudan de Babylone, et plusieurs autres grands princes, parce qu’ils n’ignorent pas que leur vie est entre ses mains. Je viens donc vous sommer de sa part de ne pas manquer de le satisfaire sur ce point, ou du moins de le faire décharger du tribut qu’il est obligé de payer tous les ans aux grands-maîtres du Temple et de l’Hôpital. Il pourrait se défaire de l’un et de l’autre, mais bientôt ils auraient des successeurs: sa maxime n’est pas de hasarder ses sujets pour avoir toujours à recommencer.»

Le roi écouta paisiblement l’insultante harangue de l’envoyé, et lui ordonna de revenir le soir pour avoir sa réponse. Il revint: le grand-maître du Temple et celui de l’Hôpital se trouvèrent à l’audience, l’obligèrent par ordre du monarque, de répéter ce qu’il avait dit le matin, et le remirent encore au lendemain. Le fier assassin n’était point accoutumé à ces manières hautaines; mais il fut encore bien plus surpris lorsque les grands-maîtres lui dirent: «Qu’on ne parloit pas de la sorte à un roi de France; que, sans le respect de son caractère, on l’auroit fait jeter à la mer; qu’il eût enfin à revenir dans quinze jours faire satisfaction pour l’insulte qu’il avoit faite à la majesté royale.»

Une si noble fierté étonna toute la Palestine, et fit trembler pour les jours du monarque. On connaissait les attentats du barbare, et la fureur de ceux à qui il en confiait l’exécution. Mais celui qui tient en sa main toutes les destinées en disposa autrement. Le Vieux de la Montagne craignit lui-même un prince qui le craignait si peu, et lui renvoya sur-le-champ le même ambassadeur, avec des présens également singuliers, bizarres, curieux et magnifiques. C’était d’un côté, sa propre chemise, «pour marquer, par celui de tous les vêtemens qui touche de plus près, que le roi de France étoit de tous les rois, celui avec lequel il vouloit avoir la plus étroite union; et de l’autre, un anneau de fin or pur, où son nom était gravé, en signifiance qu’il l’épousait pour être tout à un comme les doigts de la main.»

Ces symboles étrangers furent accompagnés d’une cassette remplie de plusieurs ouvrages de cristal de roche. On y trouva un éléphant, diverses figures d’homme, un échiquier et des échecs de même matière, dont toutes les pièces étaient ornées d’ambre et d’or. Ces objets, d’un travail très-délicat, étaient mêlés avec les parfums les plus exquis de l’Orient; de sorte que, lorsqu’on ouvrit la caisse, il se répandit dans la salle une des plus agréables odeurs.

Alors le roi fit connaître aux envoyés que c’était par ces manières honnêtes que leur prince pouvait mériter son amitié et ses libéralités. Il les traita avec beaucoup d’honnêteté: il leur fit des présens, et en envoya par le Père Yves, dominicain, au Vieux de la Montagne. Ils consistaient en plusieurs robes d’écarlate et d’étoffes de soie, avec des coupes d’or et des vases d’argent…

 


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Situation géographique de la forteresse d’Alamût en Iran

Forteresse de Masyaf - Syrie -Temple de Paris

La forteresse de Masyaf en Syrie dans le djebel Ansarieh, constituait le quartier général du chef des assassins qui disposait aussi d’autres forteresses dans ce littoral montagneux

Henri Wallon,   à la fin du XIXè siècle, en fait une narration sensiblement identique dans son histoire de Saint Louis :

« Ce fut pendant ce séjour à Saint-Jean d’Acre qu’il reçut les messagers du Vieux de la Montagne. La scène racontée par Joinville met en une vive lumière la terreur que cet étrange despote répandait dans le monde par les aveugles exécuteurs de ses commandements, et l’ascendant que nos ordres religieux et militaires, bravant la mort aussi mais pour d’autres croyances, savaient prendre sur le chef même de ces fanatiques. Saint Louis était bien digne de le mettre aussi à ses pieds.

Il reçut ses messagers au sortir de la messe. Ils se présentèrent devant lui dans cet ordre: en tête , un émir richement vêtu; derrière lui, un assassin tenant trois couteaux fichés l’un dans l’autre; la lame du second dans le manche du premier, et celle du troisième dans le manche du second. Symbole de mort inévitable : au premier exécuteur devait succéder un second, et au second un troisième, jusqu’à l’accomplissement de l’arrêt; c’était en même temps le signe du défi qui était porté au roi , et du sort qui l’attendait en cas de refus. Derrière celui-ci venait un autre , qui portait un linceul entortillé autour de son bras, comme pour ensevelir celui que le poignard de son compagnon aurait frappé.

Le roi invita l’émir à parler « Mon seigneur, dit l’émir, m’envoie vous demander si vous le connaissez. ? Non, répondit tranquillement saint Louis, puisque je ne lai jamais vu; mais j’ai entendu parler de lui. ? Puisque vous avez entendu parler de lui, reprit l’émir, je m’étonne que vous ne lui ayez pas envoyé du vôtre assez pour le retenir comme ami, ainsi que le font chaque année l’empereur d’Allemagne, le roi de Hongrie, le soudan de Babylone et les autres, certains qu’ils ne peuvent vivre qu’autant qu’il plaira à mon seigneur. Si vous ne le voulez pas, faites-le au moins acquitter du tribut qu’il doit à l’Hôpital et au Temple. »

Ce farouche potentat , devant qui le monde tremblait, payait, en effet, tribut à l’Hôpital et au Temple : que pouvait-il sur des ordres dont le grand maître, tué, était aussitôt remplacé par un autre? C’eût été en pure perte envoyer les assassins à la mort.

Le roi répondit à l’émir de se représenter dans l’après-dînée.

Quand il revint, il trouva le roi assis entre le maître de l’Hôpital et le maître du Temple; et le roi lui dit de répéter ce qu’il lui avait dit le matin. L’émir répondit qu’il ne voulait le faire que devant ceux qui, le matin, étaient avec le roi. Mais les deux maîtres:  » Nous vous commandons de le dire.  » Il obéit; et les deux maîtres lui dirent de leur venir parler le lendemain à l’Hôpital.

Il y vint. Les deux maîtres lui dirent que son seigneur avait été bien hardi de faire entendre au roi de telles paroles.  » N’eût été pour l’amour du roi, ajoutèrent-ils, nous vous aurions fait noyer tous les trois dans la sale mer d’Acre, en dépit de votre seigneur. Et nous vous commandons que vous vous en retourniez vers lui, et que, dans la quinzaine, vous soyez ici de retour, apportant de votre seigneur telles lettres et tels joyaux que le roi en soit satisfait. « 

Dans la quinzaine, les messagers revinrent, apportant en présent la chemise du Vieux de la Montagne.  » Comme la chemise est de tous les vêtements le plus près du corps, ainsi , disaient- ils, le Vieux voulait tenir le roi plus près dans son amour que nul autre roi. » Le cheik lui envoyait du reste d’autres symboles de son amitié avec d’autres présents: un anneau d’or très-fin où son nom était écrit, en signe qu’il épousait le roi et voulait être désormais tout un avec lui : un éléphant et une girafe en cristal, des pommes de diverses espèces en cristal, des jeux de tables et d’échecs: et toutes ces choses étaient fleuretées d’ambre, et l’ambre était lié au cristal par de belles vignettes de bon or fin.

Le roi, content de cet acte de soumission , ne voulut pas se laisser vaincre en générosité. Il envoya au Vieux de la Montagne des joyaux, des draps d’écarlate, des coupes d’or et des freins d’argent. Il lui députa aussi frère Yves, un Breton qui savait la langue du pays, le même qu’il avait naguère envoyé en ambassade auprès du sultan de Damas. Ce n’était probablement pas dans la pensée de convertir le chef des assassins. Si ce bon frère l’essaya, comme Joinville paraît l’indiquer, il en fut pour sa peine, et il n’y devait pas encourager les autres par le tableau qu’il fit de cette étrange cour. Quand le Vieux chevauchait, il avait devant lui un héraut qui portait une hache danoise à long manche, manche tout couvert d’argent et hérissé de couteaux; et le héraut criait : »Détournez-vous de devant celui qui porte la mort des rois entre ses mains. » 

alamut-luidite