Ce qui manque à la France tous ces temps-ci, c’est une ambition, des perspectives, loin du marigot parisien où homme politiques, administrations publiques et médias interposés tournent à vide, à un rythme de plus en plus exacerbé avec la multiplication des informations inutiles sur les réseaux sociaux et autres dingueries communicantes. On en oublie que la France est un grand pays disposant de ressources et capacités illimitées dès lors que la volonté s’appuie sur des projets visionnaires et réfléchis.
La firme française Matra gagne les 24 heures du mans en 1972 et ses moteurs remportent plusieurs années de suite le championnat mondial de formule 1 au début des années 70. L’usine Matra de Romorantin n’est plus aujourd’hui qu’un musée [à l’image de la France toute entière si la pays ne retrouve pas un dynamisme industriel et technologique ?]
Alors que la France métropolotaine ne comptait pas plus de cinquante millions d’habitants au milieu des années soixante, l’un des pères juridiques de la Vème République auprès du général de Gaulle, Michel Debré, a plusieurs fois évoqué la perspective d’une France peuplée de cent millions d’habitants au vingt-et-unième siècle.
Mais où sont passés les raccommodeurs de porcelaine, tel celui de Romorantin ?
La France compte aujourd’hui soixante-cinq millions et probablement cinq à dix de plus d’ici 2050. Les perspectives démographiques planétaires et les tumultes qui secouent l’Afrique et le Moyen-Orient laissent penser que de grands flux migratoires mondiaux sont à nouveau possibles, à une échelle inconnue depuis des siècles. Soyons sérieux, la misère, les abus de pouvoir et les guerres sont à l’origine des innombrables décisions individuelles de fuir la violence et qui répondent à une nécessité absolue qui ne peut être condamnée : survivre. Car que feriez-vous à leur place lorsque vous ne pouvez même pas scolariser votre enfant dans des camps de fortune ?
Triste exemple de la misère humaine : l’exécution de Georgette et Sylvain Thomas, journaliers, pour parricides, le 24 janvier 1887, en place publique de Romorantin, à l’âge de 25 et 30 ans.
C’est pourquoi la France, ce miniscule cap asiate qui a toujours accueilli de nouvelles populations depuis des siècles par vagues successives, doit se préparer à la possibilité de devenir un jour un pays peuplé de cent millions d’habitants sans sombrer pour autant elle-même, dans la violence, l’anarchie ou la pauvreté.
Rue de Romorantin, dessin de l’Américain Samuel Chamberlain, 1922
Cela passe par une réflexion approfondie et renouvelée sur l’aménagement du territoire. Il est encore temps de sortir des sentiers battus et d’imaginer des projets de transformation radicale susceptibles de donner nouvel élan et vitalité à ce « cher vieux pays » qui en a vu d’autres et qui entend rester ce qu’il est, cette France éternelle, telle qu’en elle-même elle demeure, tout en évoluant et changeant sans cesse au rythme de l’histoire des hommes et des sociétés.
La Pagode, une tour de style chinois dans les jardins de l’hôtel de ville de Romorantin, témoigne de l’esprit de curiosité des Français, y compris jusque dans les sous-préfectures tranquilles du centre de la France
Or donc, la France n’a pas tant besoin aujourd’hui d’un projet « rustinien » de Grand Paris que d’une nouvelle capitale idéale, loin de Paris, au centre peu peuplé de la France, dont un nouveau dynamisme démographique permettrait de susciter une nouvelle croissance économique qui irriguerait l’ensemble du pays.
Moulin des Garçonnets à Romorantin
Deux grands hommes sont susceptibles de nous aider dans cette réflexion : François Ier et Léonard de Vinci. Le premier souhaitait construire une nouvelle capitale pour son administration alors mal logée à Tours, à proximité d’Amboise. Le second avait commencé à établir des croquis et dessins pour construire une nouvelle cité idéale, future capitale de la France, avant que la maladie ne l’affaiblisse en 1518 et ne vienne mettre un terme à un projet dont la réalisation avait débuté en un lieu choisi par le roi : Romorantin.
Le château de Romorantin est plus légitime que le palais de l’Elysée pour accueillir le président de la République à demeure
Cinq siècles plus tard, le projet demeure d’actualité. Le reprendre serait un formidable sursaut pour la France, appelant à édifier une nouvelle capitale idéale à l’image des technologies actuelles et des nécessités environnementales de notre temps. La construction de nouvelles voies de chemins de fer, de nouvelles routes, de réseaux fluviaux reliant le Rhône et le bassin de la Loire seraient autant de défis d’ingénieurs permettant, deux cents kilomètres au Sud de Paris, de réaliser le nouvel équilibre territorial qui s’impose, sans pour autant dévaster l’espace naturel, tout en préservant et mettant en valeur les multiples édifices historiques et sites naturels qui font la richesse de cette région.
Le palais royal de Romorantin, livre publié en 1972 par Carlo Pedretti, sort de l’ombre le projet confié par François Ier à Léonard de Vinci de construire une cité lacustre à Romorantin
Pourquoi Romorantin ? Il faut le demander à François Ier, homme visionnaire s’il en est. Il était attaché à cette ville où il avait séjourné dans son enfance en compagnie de sa mère, Louise de Savoie qui y avait un palais. Les rois de France vivaient alors dans les châteaux, principalement sur les bords de Loire, et l’intendance suivait tant bien que mal, s’installant dans des villes populeuses proches, telles que Tours. François Ier qui aima tant agrandir ou bâtir des châteaux, comme ceux d’Amboise, Blois, ou Chambord mais encore Chenonceau, Saint-Germain-en-Laye ou Fontainebleau, ambitionna de construire un palais lacustre à Romorantin, cette petite cité traversée par la rivière de la Sauldre. Il confia cette mission à Léonard de Vinci.
Le Carroir doré, actuellement musée archéologique, et la Chancellerie en arrière-plan, rappellent les heures fastes de Romorantin, ville royale
Pourquoi Léonard de Vinci ? Certes François Ier l’admirait au point de l’inviter à venir le rejoindre à Amboise, ce que l’Ingénieur entreprit de faire en 1516. Mais le roi savait surtout pouvoir compter sur le génie de cet homme pour réaliser ce projet de cité lacustre. La construction d’une ville idéale était un concept ancien en Italie, déjà en vogue sous les Romains, renouvelé avec les réflexions du duc d’Urbin, Federico de montelfetre, l’un des grands condottiere du XVème siècle. Adapter la ville aux activités humaines, tel était le souci traité par ces projets. Une étude publiée par le château du Clos-Lucé détaille l’ampleur du projet.
La gare de Romorantin-Blanc-Argent est prête à accueillir plus de voyageurs
Les idées de Léonard de Vinci telles qu’on peut les retracer à partir des documents subsistants constitués essentiellement de dessins et croquis de la main du Maître, comportaient un vaste projet de désenclavement économique de Romarantin par la construction de canaux, alors le mode principal de transports.
La Sauldre à Romorantin
Le bassin hyrographique de la Sologne est à cet égard un immense réservoir naturel constitué de plus de trois mille étangs et de dizaines de cours d’eaux qui demeurent aujourd’hui faiblement exploités par l’homme.
Esquisse du palais de Romorantin, dessin de Léonard de Vinci
S’agissant de la ville elle-même, les canaux auraient constitué un vaste quadrilatère destiné à édifier une cité lacustre ainsi qu’un palais sur l’eau et des écuries dotées d’un système de nettoyage automatique.
Projet de résidence au bord de l’eau, dessin de Léonard de Vinci pour la cité idéale de Romorantin
Dans le même temps, les routes terrestres d’accès à la nouvelle capitale royale auraient été améliorées par un renforcement du pavage, projet qui avait donné lieu à début d’exécution ainsi que des terrassements au bord de la Sauldre, lorsque tout semble avoir été subitement abandonné en 1518, parallèlement à la dégradation de la santé de Léonard de Vinci qui s’était rendu plusieurs fois à Romorantin depuis qu’il séjournait à Amboise.
Etude de léonard de Vinci pour la construction du palais lacustre de Romorantin
Un article du Blog autourdelombreduconnétable, retrace l’intégralité du projet de transformation de la ville de romorantin en capitale. Cet aménagement suscite d’ailleurs un intérêt croissant en ce qu’il témoigne d’une véritable vision civilisatrice où les préoccupations d’hygiène et de santé sont au coeur du développement économique et social.
Outre la volonté de François Ier de construire sa capitale à Romorantin, cette ville fut aussi choisie par les Américains pendant la Première guerre mondiale pour servir de base logistique au développement de l’arme aérienne. Une immense plateforme fut implantée au sud de Romarantin pour monter les avions de chasse dont les pièces de la carlingue et les moteurs arrivaient par la voie maritime aux ports de Saint-Nazaire, la Rochelle ou Bordeaux. Plus d’un millier d’avions y furent ainsi construits en un an, en un lieu devenu aujourd’hui une base aérienne.
Un Caudron R 11 au centre de production de la base aérienne de Romorantin, en février 1918. Bombardier français bimoteur doté de cinq sièges, il fut utilisé principalement comme avion de reconnaissance.
L’ambition est ce qu’il manque à la France aujourd’hui. On subit plus qu’on ne prévoit, comme en témoigne le projet de Grand Paris qui ne rattrapera jamais le temps perdu francilien au cours des trois dernières décennies en matière de transports urbains.
Difficile aujourd’hui d’imaginer qu’une petite ville telle que Romorantin puisse devenir une capitale. Pourtant, le drapeau est là. C’est un bon début.
Il faut se rendre à l’évidence. Des années de démagogie et de renoncement ont abouti à ce que construire un aéroport ou un barrage devienne impossible ou presque dans un pays amorphe. Et pour toute politique de transport, on se contente désormais de construire des ronds-points et de fermer des lignes de chemins de fer sans même d’ailleurs réaliser que ces anciennes lignes sont des voies idéales pour le vélo ou la randonnée. C’est malheureux pour ne pas dire désastreux, tous ces milliers de kilomètres qui ont été abandonnés à leur sort alors que des sociétés et des hommes ont investi et édifiés un siècle durant, des chemins plats ou presque n’attendant aujourd’hui que le passage de nouveaux types de transport roulant lorsque la trace de ces anciens chemins ferrés existe encore.
Pour les randonneurs, le chemin piétonnier de Vierzon à Romorantin
Dans le même temps, l’entassement des hommes dans des villes géantes à la limite de la saturation en matière de déplacements et où les conditions d’hygiène et de santé se dégradent considérablement, devrait conduire à une intense réflexion pour mettre fin à l’illusion lyrique des métropoles toujours plus grandes. Il faut renouveler l’approche urbaine en s’appuyant sur le réseau des villes moyennes, ce dont la France a la chance d’être dotée depuis la période de peuplement celte, un sacré bail donc. Or, ces villes moyennes souffrent, laissées économiquement et socialement à l’abandon avec la désindustrialisation. Et pourtant, elles sont notre avenir.
Le futur ministère de l’écologie, en pleine Sologne, n’attend plus que son impétrant, Bobo de préférence sans la 5 G
La construction d’une nouvelle capitale au centre de la France pourrait participer à cette ambition de bâtir une France moins malheureuse à défaut d’être heureuse, ce qui serait déjà un progrès tant les Français sont un peuple grincheux, maussade et grognon, pour ne pas dire hargneux, bileux et ronchonneur, c’est à dire acariâtre, querelleur et grondeur. Encore une fois, ce n’est qu’une question de volonté pour se propulser vers un avenir qui soit moins anxiogène. Une France de cent millions d’habitants d’ici trente ou cinquante ans est possible à condition de s’en donner les moyens et de ne pas subir une situation mondiale qui échappe de plus en plus à toute rationalité.
Autre croquis de Léonard de Vinci consacré au projet de cité lacustre de Romorantin : l’ingénieur prévoit notamment un système de tout-à-l’égout permettant de séparer les eaux propres des eaux usées ; le projet royal dans le domaine fluvial est véritablement rnovateur et s’inscrit dans un dessein économique à ambition nationale
Car si au bout du compte, le résultat est que la population de Paris double, il adviendrait alors une catastrophe en chaîne sur l’ensemble du territoire. Mais si l’on construit un second poumon économique et social au centre de la France verte, alors tout devient possible.
Romorantin dispose de sa pyramide, une spectaculaire salle de spectacles construite à la même époque que la pyramide du Louvre
La salamandre, emblème royal de François Ier, est aussi celui de la ville de Romorantin : qui dit mieux ?