Ce n’est pas moi qui décide (Ecr*)

Et encore moins un autre qui n’est pas Je.

Il m’arrive souvent de tenter d’imaginer ce que Chateaubriand, Hugo, Balzac le fourbu, Dumas, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Joyce et tant d’autres se retrouvant dans la situation actuelle de publier en univers numérique bercé d’intelligence artificielle auraient fait de leur propension à l’écriture, confrontés à ces nouveaux outils naissants.

La réponse n’est pas évidente, encore que : il faut imaginer Rimbaud heureux, sortant épuisé d’Une saison en enfer, titre de l’un des volumes en voie d’achèvement de l’Auteur virtuel, disons plutôt, tenant la corde à ce jour.

Stendhal aussi, c’est évident comme la malle d’un voyageur tenant dans une clé USB. De même pour les feuilletonistes Hugo, Balzac, Eugène Sue ou les auteurs de romans policiers, tous assurément deviendraient influenceur, scénariste, réalisateur de séries meurtrières pour la santé mentale des lecteurs paresseux devenus spectateurs passifs.

Mais encore ? Les philosophes des temps antérieurs tiendraient un « blog » et Sartre un Blog blagueur comme tout ce qu’il a écrit, une vaste fumisterie criminelle.

Et Pascal ? Les fragments n’ont pas besoin de numérique, carnets d poche et feuilles volantes suffisent.

Allez savoir ! Ce n’est pas moi qui décide.

L’autre jour, l’une de mes petites filles de moins de quatre ans d’âge, appelons-là Dee Day, déjà rencontrée en univers romanesque, me demandait ce que je faisais à tapoter sur un clavier.

En revanche, je sais avec une certitude absolue que je n’aurais jamais réussi à écrire et publier sans ordinateur, sans l’internet et le numérique, impossible n’est peut-être pas Français, mais écrire à la plume d’oie au crayon de bois bien plus que de papier, au stylo à bille quatre couleurs ou encore au feutre de laine d’Ecosse, impossible, pas plus qu’à la machine à écrire, même une Remington assimilable à une Rolls Royce, tout aussi impossible. Je le sais pour en être passé par là et les horreurs mystiques. de l’encre, des bavures et des feuilles mobiles. Mais là n’est pas vraiment le problème. On perd plus facilement des données stockées sur des disquettes, disques durs, clef USB ou désormais dans le cloud clownesque que des carnets, cahier et autres agendas.

Là n’est pas la réponse, Dee Day. Encore une fois, ce n’est pas moi qui décide. Il faudrait tout un livre, une bible carrément, pour tenter d’expliquer l’inexplicable. Je n’ai jamais songé à écrire, je n’ai jamais voulu écrire, je ne suis surtout pas un écrivain, un putain d’écrivain, un putassier burlesque, je me suis retrouvé portant une plume qui n’est pas la mienne et ne le sera jamais, mais celle de l’auteur virtuel, de Franche pistole, du moine rieur ou de Cheval fourbu, sans compter dans des temps anciens un certain Serval ou Jean Clouet, et Poulain forcément, et allez savoir pourquoi Francis Garnier ou je ne sais plus trop qui, ah si ! le Trouvailleur, entre 1978 et 1984 !

Je t’assure, Dee-Day, ce n’est pas moi qui écrit. Allez savoir pourquoi.

En revanche, je sais pour qui j’écris. Une certitude absolue, une évidence évidente évidemment.

J’écris pour toi, Dee-Day, et pour Key, pour vous la nouvelle génération familiale, dix à ce jour, comme j’écrivais auparavant pour mes enfants. Et peu importe si je suis lu par toi et les deux nouvelles générations, car je sais pourquoi j’écris, pour témoigner, pour les générations futures.

Car ce n’est toujours pas moi qui décide.

Et c’est là que cela devient intéressant, Dee-Day, là maintenant, alors que je perds de la force pour écrire, rédiger, publier, l’âge avançant.

Dee Day ! Figure- toi, j’aurais mis cinquante ans à domestiquer le feu de l’écriture, ces bombardements de signe, ces tourbillons de salve, cette capacité de rédiger en rafale, qui me conduit à écrire sans savoir pourquoi j’écris, sans jamais décider de quoique ce soit, à me rendre à l’impossible, trouver la possibilité et la capacité d’écrire et publier en toute liberté absolu, publier simultanément au temps de l’écriture, s’affranchir de toutes contraintes matérielles et restriction d’âme, écrire et publier, pour revenir plus tard, rechercher un peu plus l’exactitude des faits, la précision des mots, l’association d’idées, le rythme des sonorités, les gravures coloriées, la perfection au risque hélas, du perfectionnisme inutile. La vie n’attend pas plus qu’elle n’attendait.

Et là encore, ce n’est pas moi qui décide, fichtre, foutre, voici le premier brouillon que je publie en cinquante ans et qui simultanément à sa publication, devient phrase, paragraphe, article, chronique, chapitre, titre, livre, volume, essai, encyclopédie, juste des mots, des mots, des mots. En toute liberté arbitraire. Et donc purement créatrice.

Adieu, soleil levant.

Et pour la première et dernière fois, ce n’est pas moi qui décide (Ecr* en cours de rédaction).