
Citée par Arthur Rimbaud dans l’un de ses plus célèbres poèmes: Eternité, la déclinaison latine Orietur: se lèvera, figure dans le livre de Malachie de l’Ancien testament et dans le dernier livre des Ecritures hébraïques, attribué au prophète Malachie de la tribu de Levi, le douzième et dernier des Petits prophètes.
L’origine du terme orietur
Ce verbe emprunté au latin de César, Cicéron, Ovide ou Tite-Live, trouve son origine possible dans le passage suivant de la Bible:
« Et orietur vobis timentibus nomen meum sol justiciae »
Car voici, le jour vient, Ardent comme une fournaise. Tous les hautains et tous les méchants seront comme du chaume; Le jour qui vient les embrasera, Dit l’Éternel des armées, Il ne leur laissera ni racine ni rameau. Mais pour vous qui craignez mon nom, se lèvera Le soleil de la justice, Et la guérison sera sous ses ailes; Vous sortirez, et vous sauterez comme les veaux d’une étable (Malachie, 4,2, La Bible Louis Segond)

Et se lèvera pour ceux qui craignent mon nom un soleil de justice
Traduction de ORIOR ,IRIS ,IRI ,ORTUS SUM ,ORITURUS, intransitif
Le verbe Orior a plusieurs sens communs tels que commencer, se lever, naître, pointer ou encore, par construction, après le lever du jour, le sens le plus ancien remontant à César pour évoquer ce qui donne naissance à un fleuve ou une rivière: prendre sa source, que l’on retrouve dans le titre : Aux sources du monde.
- sens commun
- ORIOR, IRIS, IRI, ORTUS SUM, ORITURUS, intr
- 1 siècle avant J.C. CAESAR (César)
- prendre sa source n. f : ce qui donne naissance à un fleuve (pour un fleuve, une rivière) voir source
- se lever v. t : (commencer à paraître, à se former) voir lever
- 1 siècle avant J.C. CICERO (Cicéron)
- commencer v. i : débuter voir commencer
- naître v. i : commencer à exister (tirer son origine) voir naître
- 1 siècle avant J.C. OVIDIUS NASO (Ovide)
- pointer v. i : commencer à paraître en parlant d’un astre voir pointer
- se lever v. t : (en parlant des astres) voir lever
- 1 siècle avant J.C. TITUS LIVIUS (Tite Live)
- se lever v. t : (sortir du lit) voir lever
- 1 siècle avant J.C. CAESAR (César)
- ORIOR, IRIS, IRI, ORTUS SUM, ORITURUS, intr
- construction
- ORTA LUCE
- 1 siècle avant J.C. CAESAR (César)
- après le lever du jour n. m : apparition voir lever
- 1 siècle avant J.C. CAESAR (César)
- ORTA LUCE

Manuscrit du poème L’Eternité, mai 1872
Décryptage de l’éternité dans la poésie de Rimbaud
Il existe au moins trois versions du poème L’éternité, la première publiée en 1873 reprenant un manusrit inconnu d’après l’édition originale d’une Saison en enfer, la deuxième parue en 1886 dans une revue d’après un autographe disparu et la dernière qui se trouve la plus certaine datant d’un autographe de 1872 seulement publié en 1919, de quoi occuper les longues nuits d’hiver en commentaires et exégèses rimbaldiens du poète ardennais.
Je disais adieu au monde dans d’espèces de romances …
Je m’offrais au soleil, dieu de feu … » (Alchimie du verbe)
Question exégèses, on recommandera: Chanson spirituelle ou romance païenne? paru sur le site Arbadel.free.fr, rubrique anthologie commentée du poète Arthur Rimbaud, en 2009, un travail remarquable d’où est issu le tableau ci-après mettant en parallèle les trois versions, ainsi que le passage du commentaire consacré aux vers : Nul Orietur, ou Pas d’Orietur selon. Sans jamais oublier qu’en matière solaire, Rimbaud a fait, précédant le poème Eternité, le récit circonstancié dans Une Saison en enfer de notre passage sur terre:
Oh ! le moucheron enivré à la pissotière de l’auberge, amoureux de la bourrache, et que dissout un rayon !
Ce récit icarien de la destruction d’un insecte, figure bien notre condition humaine.
Enfin, ô bonheur, ô raison, j’écartai du ciel l’azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d’or de la lumière nature.
Voici donc le passage de ce commentaire du site Abritel.free.fr consacré à Nul orietur :
Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr
« Le poète affirme à nouveau son rejet d’un monde où l’espérance est toujours déçue, où toute idée de salut, toute idée d’une possible aurore (« orietur ») est sans cesse renvoyée à un avenir incertain, son rejet d’une civilisation qui ne sait que prêcher la patience et qui fait de la vie humaine un languissant supplice…
1 – « Là pas d’espérance, / Nul orietur. » Les mots « espérance » et « orietur » disent la même chose : l’espoir d’un salut. La forme verbale latine « orietur » (littéralement: il se lèvera) est souvent appliquée au soleil dans les textes prophétiques. Suzanne Bernard, dans son édition critique des Classiques Garnier, cite Malachie, IV, 20 : « Et orietur vobis timentibus nomen meum sol justiciae » (Et se lèvera pour ceux qui craignent mon nom un soleil de justice).
Mais comment faut-il comprendre cet adverbe de lieu : « là ». Où donc Rimbaud ne discerne-t-il aucune lueur d’espoir : dans la voie qu’il est en train de suivre, celle qui correspond à l’expérience imaginaire relatée par le poème (l’envol vers le soleil, le dégagement rêvé ?) ou au contraire dans l’expérience courante du monde (les « humains suffrages », les communs élans ») ? Les commentateurs optent généralement pour la première solution…
La deuxième solution paraît plus simple. Rimbaud pourrait développer dans cette strophe les raisons de son dégoût, qui le poussent à dire « adieu au monde ». Il y dénoncerait à nouveau ce qui fait de la vie un « supplice » : la « nuit seule » et le « jour en feu », c’est-à-dire notre monotone vie quotidienne qui décourage l’espérance et reporte toujours au lendemain l’avènement d’un orietur ;les « humains suffrages » et les « communs élans », c’est-à-dire notre façon de penser traditionnelle qui projette dans un avenir incertain l’accès à la lumière (« orietur ») et à la vérité (la « science »), qui exige de l’homme une « patience », au double sens de persévérance et de souffrance que ce mot suggère, de par son étymologie.

La forêt des Ardennes, automne 2022
Rimbaud, poète chrétien par la le latin, les lettres et la science
Que conclure du poème : Eternité ?
Tout simplement qu’il est sans intérêt de subodorer, prétendre savoir ou démontrer si le poète de Charleville était croyant ou non. Cela ne regarde que lui, et quant aux conséquences éventuelles, Saint Pierre qui détient les clés du Royaume: le Ciel appartient à celui qui le conquiert ici-bas.
Or, justement, le poème éternité apporte un début de réponse en ce que Rimbaud ne peut renier ses antécédents intellectuels chrétiens. Peu importe la Foi ou non. Le latin appartient à l’univers chrétien de Rimbaud depuis sa plus tendre jeunesse, prouvée par sa maîtrise absolue des thèmes et des versions latines qui font l’émerveillement du corps enseignant. Et son apprentissage de la poésie se fait à travers ses facultés intellectuelles chrétiennes qu’il évoque dans ses premières poésies. De même qu’un ingénieur apprend son métier par le truchement des mathématiques et de la physique, Rimbaud devient poète à dix ans à travers le latin d’école et d’église, ainsi que le grec, la lecture de la Bible ou l’histoire chrétienne. Sa poésie est d’ascendance métaphysique chrétienne à laquelle il restera fidèle toute sa vie entière comme en témoigne sa correspondance entretenue avec sa famille dans la seconde partie de sa vie, à Aden ou Harrar.
Et puis, question espérance d’éternité, il faut s’en remettre à L’impossible: Et orietur (en mouvement), aux sources du monde, (ailleurs), la vie entière (L’être humain), en circonstances cartésiennes (l’Eternel), soit, au bout du compte pour Rimbaud, gribouiller de temps en temps des poèmes, histoire de passer le temps en remontant aux sources des fleuves à la recherche de l’éternité.

Voici les trois versions de l’Eternité, tel que retracé sur le site abritel.free.fr
Version 1 Autographe. Reproduit d’après le fac-similé publié par Messein (1919). Voir ci-dessous. L’Éternité Elle est retrouvée. Quoi ? — L’Éternité. C’est la mer allée Avec le soleil Âme sentinelle, Murmurons l’aveu De la nuit si nulle Et du jour en feu. Des humains suffrages, Des communs élans Là tu te dégages Et voles selon. Puisque de vous seules, Braises de satin, Le Devoir s’exhale Sans qu’on dise : enfin. Là pas d’espérance, Nul orietur. Science avec patience, Le supplice est sûr. Elle est retrouvée. Quoi ? — L’éternité. C’est la mer allée Avec le soleil. Mai 1872 | Version 2 Reproduit d’après la version publiée dans La Vogue (1886), d’après un autographe aujourd’hui perdu de vue. Éternité Elle est retrouvée. Quoi ? L’éternité. C’est la mer allée Avec le soleil. Âme sentinelle, Murmurons l’aveu De la nuit si nulle Et du jour en feu. Des humains suffrages, Des communs élans, Donc tu te dégages : Tu voles selon… Jamais l’espérance, Pas d’orietur, Science avec patience… Le supplice est sûr. De votre ardeur seule Braises de satin, Le Devoir s’exhale Sans qu’on dise : enfin. Elle est retrouvée. Quoi ? L’éternité. C’est la mer allée Avec le soleil. | Version 3 Manuscrit inconnu. Reproduit d’après l’édition originale de la Saison (1873). Elle est retrouvée ! Quoi ? l’éternité. C’est la mer mêlée Au soleil. Mon âme éternelle, Observe ton vœu Malgré la nuit seule Et le jour en feu. Donc tu te dégages Des humains suffrages, Des communs élans ! Tu voles selon… — Jamais l’espérance. Pas d’orietur. Science et patience, Le supplice est sûr. Plus de lendemain, Braises de satin, Votre ardeur Est le devoir. Elle est retrouvée ! — Quoi ? — l’Éternité. C’est la mer mêlée Au soleil. |
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir, Arthur Rimbaud, le Bateau ivre, 1871
Orietur 314