Dans un pays comme la Chine, dire la vérité prend la première place. Si l’on met en balance littérature et recherche de la vérité, le principal est sans aucun doute de trouver les moyens par l’écriture de rendre le mieux compte de cette réalité, expliquait l’écrivain dissident chinois Liao Yiwu dans Courrier international en janvier 2013. La publication récente de son livre Dieu est rouge, tombe fort à propos pour témoigner d’une réalité méconnue du bouleversement en cours en Chine, que constituent les conversions de masse au christianisme.
Evincés de leur église par la police, des chrétiens pratiquent sous la neige, revenant chaque dimanche, malgré les arrestations. Le licenciement de leur travail de nombre d’entre eux ne les empêchent pas de continuer à se rassembler pour l’office dominical.
Au pays de l’enfant unique roi, rien de surprenant à ce que le petit Jésus soit devenu populaire malgré tous les efforts entrepris par le régime communiste pour réprimer le phénomène. Car être chrétien reste considéré comme une déviation de l’esprit dans un Etat où la religion, quelle qu’elle soit, demeure incompatible avec la philosophie officielle maoïste, même si celle-ci ne tend plus à être qu’une récitation sans conviction destinée à participer au maintien au pouvoir des hiérarques et autres oligarques protégés par les système militaro-policier.
Portrait de Mattéo Ricci
Or, dans un pays confronté depuis plus de soixante ans au vide spirituel obligatoire, la question de Dieu conduit inéluctablement une partie de la population à s’intéresser aux religions et s’y investir personnellement. Le christianisme a d’autant plus de chances de séduire que le terreau y est favorable et sa présence ancienne, l’existence d’une église souterraine s’étant maintenue au fil des décennies malgré les persécutions constantes. Les églises chrétiennes chinoises sont avant tout des églises martyres, rouge du sang des chrétiens.
La question de Dieu, traduction en chinois
Tout a commencé avec le jésuite Mattéo Ricci qui se rend en Chine à la fin du seizième siècle. Il sera l’un des pionniers du prosélytisme catholique en Chine, et également le premier occidental à visiter Pékin. En plus de diffuser le catholiscisme, il introduit les sciences occidentales en Chine.
C’est à la demande de l’empereur Wanli de la dynastie Ming, qu’il a dessiné une grande carte du monde en 1602. Il séjournera au total trente ans en Chine, y décèdera, et sa sépulture y est toujours entretenue. Des timbres lui sont régulièrement consacrés.
Mappemonde de Mattéo Ricci, vers 1602 : la Chine, l’empire du Milieu, est placée au centre.
A la même période, Le jésuite Nicolas Trigault se rend aussi en Chine, toujours à la fin de l’époque Ming. On le voit ici en costume traditionnel chinois, d’après un dessin de Pierre-Paul Rubens.
Ricci et Trigault font partie de la mission jésuite qui deviendra permamente en Chine, avec l’objectif secret de convertir la Chine par le haut, sur le modèle antérieur de la conversion de l’empereur Constantin pour obtenir le basculement dans la chrétienté de l’empire romain ou encore le modèle arménien, sous l’impulsion de saint Grégoire l’Illuminateur. C’est dans cette perspective que la mission développe l’enseignement des sciences occidentales et l’adaptation des rites aux traditions chinoises, afin d’intéresser l’empereur et ses proches.
Des missionnaires dominicains et franciscains parcourent aussi la Chine avant que celle-ci ne se ferme progressivement aux missions chrétiennes étrangères, redoutant une déstabilisation de l’empire chinois. La mission jésuite en Chine finit elle aussi par être classée parmi les sectes perverses et dangereuses en 1705 par l’empereur de Chine avant que Rome en 1773 ne décide de la dissoudre pour s’être trop bien adaptée aux coutumes et usages locaux.
Les jésuites en Chine, la querelle des rites (1552-1773), par Etiemble
Les missions chrétiennes reprennent en Chine au dix-neuvième siècle, lorsque l’empire chinois affaibli par trois siècles d’immobilisme, se retrouve obligé de composer avec les puissances occidentales qui exigent l’ouverture du commerce, des concessions portuaires telles que celles de Hong Kong ou Macao, et entreprennent des guerres contre le commerce de l’opium qui sont destinées dans les faits à la création de zones d’influence. C’est alors que le christianisme s’implante durablement en Chine pour ne plus en disparaître, notamment dans les provinces du Sud telles que le Wuhan.
Les missions catholiques en Chine en 1846 : un état des missions
La révolution communiste et l’arrivée au pouvoir de Mao marque un tournant pour le christianisme qui est interdit et violemment réprimé : les églises sont fermées et les chrétiens pourchassés et persécutés quand ils ne renient pas leur foi. La situation pour ceux qui persistent dans leur foi, deviendra intenable au moment de la révolution culturelle en 1965, brimades publiques, assassinats et déportations dans les camps de rélégation devenant systématiques. Le christianisme est alors menacé de disparition totale en Chine, les chrétiens refusant de renier leur foi subissant un sort identique aux premiers chrétiens de l’Empire romain, tandis que le clérgé est plus particulièrement visé.
C’est alors qu’un miracle intervient à la suite de la mort de Mao. Les dirigeants chinois chassent du pouvoir en 1976 la bande des quatre, dont la veuve rouge Mao ; et Deng XiaoPing décide d’ouvrir la Chine aux influences occidentales pour procéder à la modernisation d’un pays au bord de la rupture. Time le désigne en janvier 1979 homme de l’année pour sa nouvelle vision de la Chine, à l’origine d’une révolution économique et sociale qui se poursuit à ce jour, sans changer pour autant quoique ce soit de la primauté du pouvoir communiste sur la Chine.
C’est à cette époque que la Chine communiste renoue avec les églises chrétiennes occidentales, et que pour la première fois depuis 1949, des hommes d’église sont invités tels que le cardinal Roger Etchegaray qui par trois fois visitera la Chine dans les années 80.
Et à la plus grande surprise de tous, c’est ainsi que le Dieu chrétien s’est adapté au rouge de Chine, les églises prenant leur essor pour compter, catholiques et protestants confondus, soixante à quatre-vingts millions d’adeptes aujourd’hui , une fourchette large tant il est impossible d’en connaître le nombre précis, la foi chrétienne restant toujours sous le contrôle ferme des autorités communistes qui n’hésitent pas, si nécessaire à emprisonner les prosélytes ou détruire les croix au sommet des églises lorsque celles-ci deviennent trop voyantes.
Reste à comprendre comment le christianisme a pu s’enraciner ainsi en Chine, dans un pays sans tradition chrétienne en dehors des provinces du sud. Il y a d’abord l’exemplarité des croyants qui refusent de renier leur foi et marquent les esprits lorsqu’ils deviennent martyrs.
Catholiques des villages de la province du Shaanxi, 2001
Dans un pays habitué à ne croire en rien, dans l’argent, le commerce et les jeux depuis un quart de siècle, le refus de la futilité intrigue une population qui ne trouve pas son bonheur dans l’essorage des machines à laver. Résister au lavage de cerveau maoïste donne aux chrétiens un avantage certain dans la course aux croyances religieuses, surtout lorsque les exemples abondent hors de Chine, comme celui du pasteur Bonhoeffer qui refusa de se soumettre au nazisme et dont une biographie traduite en chinois raconte le combat.
Il y a surtout la proximité philosophique entre le message évangélique et la culture chinoise. Le Christianisme n’est pas seulement une religion, ce qui explique d’ailleurs que la démocratie et les droits de l’homme soient nés en Occident chrétien plutôt qu’en Inde, en Chine, ou dans les pays musulmans. Si le message des Evangiles s’enracine dans la foi en Dieu, le Christ enseigne aussi une éthique à portée universelle : fraternité humaine, égale dignité de tous, séparation du politique et du religieux, justice et partage, non-violence, émancipation de l’individu à l’égard du groupe et de la femme à l’égard de l’homme, liberté de choix. Cette philosophie du Christ, pour reprendre l’expression d’Erasme, va conduire, de la renaissance au siècle des Lumières à l’émancipation des sociétés européennes de l’emprise des pouvoirs religieux depuis que le le christianisme est devenu religion officielle de l’Empire romain au IVème siècle, et fonder un humanisme moderne hérité de la sagesse du Christ.
le Ying et le Yang, symboles d’équilibre et d’opposition de la nature, qui par leur conflit ou leur union sont à l’origine de toute chose
Du témoignage des apôtres à la naissance du monde moderne, le christianisme conduit tout naturellement la parole du Christ à devenir celle des déshérités du monde entier, y compris en Chine qui suit le chemin inverse de l’Occident chrétien, abandonnant subrepticement le maoïsme pour se reconnaître dans cette sagesse du Christ compatible avec les grands principes du taoïsme. D’ailleurs, le personnage légendaire Lao-Tseu, fondateur de la doctrine taoïste devenue bien plus tard religion, est lui aussi né de conception immaculée, d’une femme et d’un rayon de soleil, au Vème siècle avant Jésus-Christ. Cette naissance est aussi comparable à celle de Bouddha, né aussi de conception immaculée, enfanté par les flancs de sa mère pendant qu’elle tenait la branche d’un arbre.
les taoïstes font brûler de l’encens pour accompagner leurs prières en élévation jusqu’aux ancêtres ou dieux.
Or, au taoïsme se mêlent des croyances populaires ; le Tao est né presque en même temps que le confucianisme devenu une religion d’état, sous la dynastie des Hans entre 206 av. J.-C. et 220 apr. J.-C. et qui restera liée à la politique et à l’administration chinoise, tandis que le taoïsme se développe parallèlement parmi les lettrés et le peuple.
Confucius
D’une certaine façon, c’est un peu ce que la rivalité entre le maoïsme d’état et le christianisme populaire reproduit aujourd’hui. Et c’est pourquoi, le régime communiste qui se veut le peuple, sera fatalement appelé à composer avec la religion chrétienne, dès lors que celle-ci rencontre un ascendant populaire dont le cours paraît difficile aujourd’hui à renverser.
La sérénité d’un paysage chinois
A l’époque des empereurs Hans, on croisait en effet à la cour des magiciens taoïstes détenteurs de techniques pour accroître la vitalité, la longévité, et accéder à l’immortalité par les pratiques dites de longue vie, dans lesquelles se retrouvent de nombreux principes spirituels de l’enseignement chrétien : humilité, tolérance, modestie…
Vision occidentale post-moderne du Ying et du Yang.
Pour aller plus loin :
Dieu est rouge, de Liao Yiwu, témoignages sur la Foi des chrétiens de Chine
La Philosophie du Tao, collection Horizons spirituels, éditions Dangles, J. C. Cooper. Celui-ci évoque la loi du Tao et le rôle de l’homme dans l’univers. Le livre comporte des extraits de textes taoïstes et les derniers chapitres sont consacrés à l’art et à la symbolique taoïste
Icône des martyrs chrétiens chinois du XIXème siècle