A l’heure du Covid-19, du confinement, de la fermeture de l’espace Schengen et des frontières à l’échelle mondiale, plus particulièrement aériennes, s’il était une personne qui n’était pas née pour affronter une telle situation, c’est bien Jean-Nicolas Arhur Rimbaud, né le vingt octobre 1854, à six heures du matin, à Charleville dans les Ardennes au 12 de la rue Napoléon devenue Thiers, et qui plus tard sera surnommé l’homme aux semelles de vent. Toute sa vie, et dès le plus jeune âge, il a vagabondé au plus grand bonheur de la poésie, de la littérature, laissant à la postérité une oeuvre qui intrigue par sa précocité : à vingt ans, ayant tout écrit, il choisit de disparaître, devenant ce voyageur où ça disparu, pour citer Paul Verlaine avec qui il partagea dans sa jeunesse le goût des courses intrépides,… , par les steamers et les rapides. Le temps des intrépides est révolu, dès lors que nous ne pouvons franchir le seuil de notre porte au-delà d’un misérable kilomètre de rayon, soit 6,28 km de circonférence de course hors les murs.
Peut-être un soir m’attend
Où je boirai tranquille
En quelque bonne ville
Et mourrai plus content
Puisque je suis patient
Si mon mal se résigne
Si jamais j’ai quelque or
Choisirai-je le Nord
Ou les pays des vignes ?…
– Ah songer est indigne.
Ce qui étonne le plus s’agissant de ce Shakespeare enfant ainsi que l’aurait nommé Victor Hugo à en croire la légende dorée, ce n’est peut être pas tant sa poésie novatrice qu’un don divinatoire, visionnaire, unique à notre connaissance, celui d’avoir été le poète prophétique de son oeuvre et de sa future vie faite de périples, voyages et explorations, comme si tout ce qu’écrivit Rimbaud jusqu’à vingt ans, devait précéder, embraser et propulser ultérieurement son corps et son âme par d’incessants et insensés voyages jusqu’à se consumer entièrement le 10 novembre 1891, après une agonie de trois mois à l’hôpital de la Conception à Marseille, à l’âge de trente-sept ans.
Caricature de Rimbaud signalé à Stockholm et Copenhague en 1876, par son ami Delahaye
Celui qui avait été poète jusqu’à vingt ans puis voyageur en Europe et Asie pendant quatre ans avant de s’embarquer pour l’Orient et l’Afrique et devenir improbable négociant en café, breloques, babioles et casseroles à Harar aux portes de l’Ethiopie, résumera à sa soeur Isabelle au moment de mourir ses ultimes sentiments de révolte et de désespoir: Moi qui n’ai jamais fait de mal à personne! C’est une triste récompense de tant de travaux, de peines, de fatigues. Quel ennui, quelle tristesse en pensant à tous mes anciens voyages, et comme j’étais actif il y a seulement cinq mois! Où sont les courses à travers monts, les calvacades, les promenades, les déserts, les rivières et les mers! … Adieu mariage, adieu famille, adieu avenir, ma vie est passée, je ne suis plus qu’un tronçon immobile…
Rimbaud qui ne tenait pas en place serait surpris s’il revenait sur terre ces jours-ci pour découvrir que la moitié des habitants de la terre sont confinés sur ordre chez eux en tronçon immobile, redoutant d’affronter un virus quelque peu virulent certes mais sans commune mesure avec les maladies et épidémies que l’ancien poète ne cessa de croiser au cours de ses voyages, peste, choléra, paludisme, lèpre, variole, fièvre jaune, fièvre du Nil occidental et tant d’autres sans oublier le béribéri lié à la malnutrition. Nul doute quelle serait sa réaction : il n’y a pas pire fléau que la bêtise humaine. Et le confinement en est la preuve ultime, car de tout temps, pour que les virus s’éloignent et disparaissent, il faut qu’ils circulent pour accroître le taux d’immunisation de la population, et donc, pour le moins, laisser circuler les hommes à leurs risques et périls.
Caricature de Rimbaud expulsé de Vienne en Autriche et de retour à Charleville en passant par Strasbourg, en 1876, par son ami Delahaye