je vous dirais un jour comment, capitaine de pédalo, je partis à l’abordage d’Ulysse enchaîné, sans gouvernail. C’était en baie de Calvi, voilà longtemps, en plein été ruisselant de soleil, au milieu des baigneurs et barboteurs. Ce jour-là, après plusieurs tentatives avortées, j’avais décidé enfin de me saisir de l’admirable Ulysse de Joyce et d’aller jusqu’au bout quoiqu’il m’en coûtât d’effort intellectuel pour aller à la rencontre de ce qui est vraisemblablement le plus grand roman du vingtième siècle, même s’il échappe un peu à l’entendement, surtout lorsqu’on a oublié le gouvernail et que l’on fait des ronds sur la méditérranée. Sans la lecture d’Ulysse, il ne me semble pas que j’aurais pu entreprendre ce Voyage aux sources du monde qu’est Roman d’espoir, et j’en viens à la conclusion qu’il faut se méfier de ces capitaines de pédalo pateaugeant en eau douce, car il peut arriver, l’obstination du hasard aidant, qu’ils deviennent, dans la tempête, des officiers d’amirauté habiles et convaincants.