
Sir Jonathan Livingstone, 101 ans au fraisier accompagnant le tilleul du lendemain, travaillait dans la nuit avec son aéromobile préféré, London Derry, le mille et unième des aéromobiles flottants appelés à conquérir Mars d’ici trois à quatre ans, calendrier de la route de Mars oblige.
Pour Sir Jonathan, c’était la première fois qu’il allait interpréter son discours familial au Roi, dès lieux de l’espace-temps, discours qui risquait d’être un peu brouillon, n’ayant pas eu le temps de répéter.
Bon pied, bon oeil pour un presque centenaire aux anges dans l’espace, il comptait sur la force des habitudes et des traditions pour réussir ce que tout le peuple britannique attendait chaque année, un éloge de la monarchie plus millénariste et scénariste que millénaire ; et tout ce bon peuple ayant essaimé dans le monde entier, savait pouvoir compter sur Livingstone depuis quatre-vingt ans qu’il officiait publiquement au devoir d’exprimer l’amour d’un peuple pour sa Mère monarchie.
Nul ne savait très bien dans ces îles pourquoi ce devoir incombait à Sir Livingstone de tenir par la voie des ondes ce discours annuel relevant des traditions familiales des Windsor ; mais lui, l’obscur professeur de Français n’en ignorait rien, et il saurait au petit matin de l’espace-temps, le rappeler aux millions d’Anglo-saxons écoutant son discours à travers le monde entier, en ce lundi de Pâques 21 avril 2025, à 2H40 du matin, lui le petit Jonathan de Biggleswade à qui il arrivait de jouer au croquet avec la Reine-mère, quatre-vingt ans plus tôt en le palais de Buckingham.
En attendant, Jonathan tout émoustillé du discours-fleuve qu’il allait tenir à l’univers anglo-saxon en s’exprimant en un français d’anthologie, se préparait à surprendre son monde, ces auditeurs incultes, vivant et s’exprimant dans un univers d’idiots du village, de crétins alpestres et d’imbéciles du quartier, même Einstein s’en était offusqué à juste titre ; lui Jonathan, 101 ans au compteur ou presque, allait, quatre-vingts ans plus tard, rattraper le temps perdu, donner une leçon de vie en discourant en latin avec un accent de vache normande, celui des Plantagenêt, s’apprêtant à décorer sa boutonnière de la jarretière : foin de toute éducation, fouiner pour fouiner, à moi, comte de Rimbald, deux mots ! Allez, peut-être trois ou quatre, voire cinq ou six, allez donc, pas plus de douze syllabes :
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans.
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade
(Rimbaud, Roman 1870)

L’arbre rimbaldien du Voyageur