Tolstoï au kibboutz avec les femmes de la Bible

27 octobre Kibboutz de Mashabe Sade (8)

Cette chronique publiée une première fois le 5 février 2015 sur ce même site avec un titre d’une tonalité alors plus badine, rend hommage aux victimes des crimes atroces commis le 7 octobre 2024 au petit matin dans les Kibboutz situés à proximité plus ou moins proche de la bande de Gaza.

Quid es Veritas ? demande Ponce Pilate achevant la discussion avec un homme Juif appelé à une célébrité universelle posthume. Une chose est sûre, si on s’en tient strictement à l’Evangile de Jean, la réponse n’est pas l’anagramme cité dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, reprenant le dictionnaire de Trévoux, un Jésuite, en 1721 (Est vir quid adest), qui a sans doute lu un passage de Diversités curieuses, écrit en 1799 par un certain Laurent Bordelon, dramartuge et théologien.

Jésus selon Jean n’apporte aucune réponse : Exuit, il sort.

Mais toujours selon Jean, il a auparavant affirmé : je suis le chemin, la vérité et la vie, qui est l’incarnation de tout être humain, son identité propre, unique, que personne ne doit ignorer à aucun moment : Tu ne tueras point, ni homme ni femme, ni fille ni garçon, ni enfant ni vieillard.

Vue sur un kibboutz situé au nord-Ouest du Lac de Tibériade

Mais que diable, Tolstoï vient-il faire au Kibboutz chez les femmes de la Bible ?

Léon Tolstoï, c’est un peu comme Ludwig von Beethoven, il est plus connu aujourd’hui comme nom donné à un chat que pour son oeuvre littéraire, même si de nombreuses personnes sont capables d’associer à l’auteur russe des titres de livres comme  Guerre et paix, Anna Karénine ou Résurrection, qui scandent la vie d’un auteur prolifique ayant écrit une centaine de livres et une correspondance forte de milliers de lettres.

L‘influence de ce forçat de l’écriture a été gigantesque : elle alla jusqu’à inspirer le Mahatma Gandhi qui entra en correspondance avec lui après avoir lu un article de l’écrivain russe dénonçant la violence du patriotisme hindou en Afrique du sud où vivait alors le jeune étudiant indien qui deviendra un symbole de l’action pacifique à travers le monde entier.

Quid est veritas, le Christ et Ponce Pilate ; tableau du peintre russe Nikolaï Gay, 1890

Tolstoï développa activement des idées d’inspiration socialiste, populiste, égalitaire et pacifique fondées sur un Christianismela Vérité tend à englober l’ensemble des religions pour devenir  syncrétique. Il fut certes lu et parfois compris dans le monde entier, mais il  n’eut cependant pas l’influence intellectuelle suffisante pour empêcher, dans son propre pays, les idées du Socialisme scientifique de se développer à compter de 1870, pour finalement  triompher par la violence lors de la Révolution d’0ctobre 1917, sept ans après sa mort.

En dehors de l’Inde où son influence sur la pensée de Gandhi fut considérable, l’influence de Tolstoï a été décisive dans d’innombrables pays jusqu’en Afrique du sud d’une certaine façon, à travers l’action pacifique de Mandela à sa sortie de prison en 1990, mais c’est peut-être en Israël que ses idées ont été les plus transposées, à travers le mouvement kibboutzim.

27 octobre Kibboutz de Mashabe Sade (10)

Il n’est pas dans nos intentions de raconter l’histoire des kibboutz. Il suffit d’aller sur internet, d’autres le font très bien. Ce n’est pas l’objectif des Lettres d’Ivoire de se transformer en une sorte d’encyclopédie pour les Nuls. Il est encore moins question de conseiller une biographie sur Tolstoï, car seule compte son oeuvre qui est déjà assez gigantesque pour passer quelques soirées dans une isba au coin du feu à essayer de se souvenir de ces noms et prénoms impossibles à retenir, comme dans tout bon roman russe. 

Toujours est-il que les premiers kibboutz ont vu le jour en 1909 et que la philosophie kibboutzim, socialiste et sioniste, emprunte largement aux idées de Tostoï en matière de socialisme pacifique et égalitaire.

Cela n’a rien de surprenant dans la mesure où le fondateur du mouvement socialiste, d’origine austro-hongroise, Théodor Herzl, était acquis aux idées démocratiques et sociales. Un siècle plus tard, l’histoire des kibboutz se poursuit tant bien que mal. Les principes philosophiques originels ont évolué pour tenir compte de l’évolution des moeurs, de l’économie et s’adapter aux temps modernes. Il y en aurait actuellement officiellement 275 qui regrouperaient un peu plus de 100.000 personnes, soit guère plus de 1% de la population israélienne, représentant cependant un bon tiers de l’économie agricole, avec de plus en plus d’activités touristiques à la clé pour diversifier les sources de revenus.

Le Golan et le lac de Tibériade dans la brume matinale, vus de Capharnaüm, octobre 2005

Mais que viennent faire les femmes et filles de la Bible dans cette histoire ?

C’est simple. A quelques rares kibboutz réligieux près qui ne datent pas de la fondation du mouvement, l’idéal kibboutzim a toujours prôné l’égalité entre les hommes et les femmes, qui est l’un des principes fondamentaux du sionisme originel,  socialiste et égalitaire, des fondateurs d’Israël, celui de Ben Gourion et de ses successeurs : Golda Meïr en est l’incarnation la plus proche.

Il n’est donc pas anormal que les mouvement religieux israélites les plus sectaires aient cherché régulièrement à étrangler financièrement les kibboutz en les privant de subventions et de ressources financières, ce qui est stupide dans la mesure où ils assurent une partie importante de la production alimentaire et contribuent activement à la défense du pays du fait qu’une proportion importante d’officiers et soldats vivent en leur sein. Voilà comment, d’une certaine façon, en visitant un kibboutz, on retrouve l’esprit de Tolstoï au milieu des femmes et filles  de la Bible qui vont et viennent librement à leurs différentes activités.

C’est d’ailleurs un peu ce qui manque aujourd’hui dans nos banlieues françaises, cet état d’esprit égalitaire entre les femmes et les hommes: des kibboutz à la française où la jeunesse pourrait se ressourcer, sans panoplies contraignantes imposées aux femmes et aux filles de toutes religions, quelquefois par autosuggestion, parfois par devoir familial, qui transpirent un dramatique esprit d’enfermement.

En attendant, pour témoigner de l’esprit de liberté qui peut règner dans les Kibboutz, voici une photo de filles de la Bible dans un kibboutz. Ah Zut ! Elle a disparu, c’était bien des filles issues de la Bible, mais de jeunes Afhganes à Kaboul, juste avant l’invasion soviétique en 1979 et que ne surgissent ensuite les Talibans. Le Roi alors était francophile et toute l’intelligentsia afghane acquise à la langue française : Un demi-siècle plus tard, femmes et filles se retrouvent confinées chez elles, hors de tout regard extérieur. 50 ans, ce n’est rien à l’échelle de l’histoire pour assister à l’effondrement d’une nation libre retombée dans les ténèbres du Moyen âge.

Et Tolstoï, alors, que nous dit-il encore ? D’abord que le Royaume des cieux est en nous, ce qui est le titre  de l’un de ses livres. Et aussi que : « la vie d’un individu perd tout sens s’il n’est pas en contact avec le monde entier tel qu’il est« .

Etre en contact avec le monde entier tel qu’il est, est effectivement indispensable. Comme Tolstoï, soyons universel, soyons mondial, pensons Terre entière : le sort des Soudanais et des Nigérians du nord doit nous préoccuper tout autant que les villageois de notre Petit Liré. On ne peut dormir tranquille lorsqu’on pense aux souffrances des Congolais qui endurent des guerres d’épouvante depuis des dizaines d’années dans l’indifférence générale des Nations désunies, préoccupées de participer au seul et unique pillage des ressources naturelles et minières . Ce pays a « le record » mondial des viols de femmes.

Et pourtant, comme l’a si bien dit le sage de Solesmes, le poète Pierre Reverdy, On ne peut dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux.

Avoir la conscience éveillée est une chose. Devenir une conscience active est la seule méthode pour échapper à ce que Benjamin Fondane, un autre poète, appelle la Conscience malheureuse. Nous ne pouvons être heureux que dans l’action, au milieu d’hommes et de femmes libres, bénéficiant de la liberté absolue de vivre. Telle doit être notre Profession de foi, qui est celle de Tolstoï, l’immense Tolstoï qui amena des hommes et des femmes à lancer le mouvement kibboutzim au début du vingtième siècle.

 La crucifixion, appelée aussi le Calvaire ou encore le Golgotha, tableau du peintre russe Nicolaï Gay, réalisé en 1893 sous l’influence de l’oeuvre morale de Léon Tolstoï. [© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)]. La plupart de ses oeuvres religieuses furent considérées par les autorités tasristes et religieuses orthodoxes comme blasphématoires pour être expressionnistes. Nicolaï Gay appartenait au mouvement réaliste des peintres ambulants ou itinérants.

Kibboutz de Mashabei-Sadeh, le 27 octobre 2005 au matin, situé au sud de Beer-Sheva près du parc national Ein Avdat (photographies de l’auteur virtuel)