Sur le chemin des troglodytes 

Jeune fille au verre de vin de Johannes Vermeer

A l’ère numérique, rédiger et publier des oeuvres de l’esprit ne relève plus de l’époque révolue de Gutenberg qui a pris fin avec l’apparition de l’internet à la fin du vingtième siècle. Le maintien des traditions ancestrales fondées sur l’usage du papier depuis l’apparition du papyrus puis du parchemin, n’a plus lieu d’être, elles constituent un frein à l’enrichissement de la créativité humaine et entretient des méthodes industrielles préjudiciables au climat sur terre alors que les efforts doivent être partagés pour faire face aux bouleversements climatiques en cours et à l’élévation du niveau des mers et des océans ainsi que la disparition progressive des glaciers de haute altitude.

Les Lettres et feuilles d’ivoire sont stockées ici et là, dans des catacombes, cryptes et troglodytes transformés en caves inexpugnables, qui ressemblent à celles creusées en craie dans les montagnes de Reims où sont entreposées des millions de bouteilles de Champagne : la production du terroir d’AY, compte des producteurs et négociants aussi célèbres que Bollinger, l’un des grands noms de Champagne, maison fondée en 1829 par une famille originaire du Wurtemberg, qui élève ses vins en fûts de bois.

Toujours à AY, la maison Deutz et Geldermann, fondée en 1838, tous deux originaires d’Aix la Chapelle, la maison Gosset ou la maison Philippponnat élaborent aussi d’excellent vins de Champagne dont le goût procède du vieillissement dans les galeries interminables creusées dans la craie. (Ci-dessus, Jeune fille au verre de vin, Jan Vermeer, 1659-1660, musée du duc Anton Ulrich, à Brunswick).

Notre préférence cependant va pour les caves en tuffeau du Jardin de la France où, déjà, les arbres fruitiers étaient si abondants sous Louis XI que la région portait le nom de Françiae Viridarium. Le paysage viticole au Moyen âge y devint magnifique comme en témoigne les Riches heures du duc de Berry, planche du mois de septembre, représentant le vignoble entourant le château de Saumur (ci-dessus).

C’est alors que le Val de Loire devient le séjour ordinaire des Rois de France, se couvrant de palais d’inspiration italienne ou transformant d’anciens châteaux médiévaux, agrémentés de jardins de style nouveau qui reprend celui des façades.

Les paysages de la vallée de la Loire se composent alors de villages qui charment toujours les visiteurs et de paysages où s’enivrer de la douceur du jour, protégées par de vieilles pierres en tuffeau où dans le grand secret des siècles, resurgissent dans nos mémoires encombrées, les Troglodytes habités par des êtres humains et des créatures enfouies dans l’épaisseur du temps, tels les spectres des sept cavaliers qui hantent toujours les lieux depuis que les hommes s’efforcent d’être Homme.

De ces troglodytes, d’une époque à l’autre, resurgit de millénaire en millénaire, par le souffle de l’Esprit sur la poussière de craie et d’argile, toute la beauté en humanité d’un monde perdu et retrouvé, tel le paralytique guéri, le premier et le dernier qui s’en retourne: et orietur …

Les Très Riches Heures du duc de Berry, le mois de septembre (enluminure  des frères de Limbourg, XVe siècle, musée Condé, Chantilly)

Il en est de même de la production des Lettres et feuilles d’Ivoire enfouies dans les labyrinthes de caves virtuelles, dans le tuffeau et la craie où un travail de remuage est effectué régulièrement à fréquence moindre que pour les cuvées de Champagne, avant dégorgement. Les meilleures cuvées sont aussi millésimées ou constituées de vendanges tardives, et les productions élaborées au cours d’années exceptionnelles sont appelées à vieillir au moins trois ans, souvent jusqu’à six ans, pouvant bien vieillir plusieurs années, une décennie et pourquoi pas un siècle, dès lors que le temps est figé à l’ère numérique.

Aux heures des vendanges tardives, sont constituées à ce jour dix millésimes destinées à l’enchantement des parties de boules de fort dans les caves.