
Le dimanche 24 août 2025, hommage a été rendu lors de la fête communale de Sainte-Rose en Guadeloupe, aux soldats tombés au champ d’honneur. La stèle restaurée du monument aux Morts fut dévoilée en présence des édilités, représentants de la Nation, Corps constitués et Anciens combattants accompagnés d’associations créoles ainsi que des écolières formant une haie d’honneur.
La sonnerie aux morts retentit alors que le drapeau tricolore flottait en haut du mât, rappelant que le bourg s’appela le Grand Cul-de-Sac marin en ses premiers temps, puis Tricolore sous la Terreur.
Et au bas de la liste des noms gravés dans le marbre, après ceux des soldats tombés lors des deux guerres mondiales, surgit un nom, un seul nom à ce jour, qui ne figurait pas lors de la précédente cérémonie, celui de Steeve Cocol, un enfant du pays qui ne revint pas d’OPEX, cet acronyme désignant les opérations à l’extérieur du territoire national.
Si ce nom figure aujourd’hui sur la stèle du monument, Steeve le doit à sa mère dont l’entêtement aboutit un jour à ce que le nom de son fils y soit porté, avec la compréhension et la bienveillance du chef de l’édilité, le maire de Sainte-Rose, Adrien Baron, bien décidé à lever tous les obstacles pour perpétuer le souvenir d’un jeune homme trop tôt disparu à vingt-neuf ans, en des circonstances héroïques et glorieuses.

Le 18 juin 2010, le brigadier-chef Steeve Cocol, appartenant au fameux régiment héliporté de parachutistes de Tarbes (RHP), est en effet décédé en Afghanistan, à plus de 14.000 kilomètres de sa terre natale à vol d’oiseau, si loin du bourg et de la paroisse d’où est issue sa famille maternelle, Sainte-Rose de Lima. Ce nom a été donné en référence à la première Sainte amérindienne canonisée, célébrée le 23 août, Morte en 1617 à 33 ans, l’âge du Christ crucifié ; elle est la fille d’un colon espagnol et d’ une mère métisse, à l’origine de la fête locale érigée en son honneur.
Steeve Cocol qui s’était engagé dans l’ armée de terre à vingt ans, s’était réengagé en tant qu’artilleur au 1er Régiment de Hussards parachutistes de Tarbes d’où il s’en retourna pour la seconde fois dans le bourbier afghan. Arrivé à la base principale de Bagram assurant la protection de la capitale du pays, Kaboul, il fut appelé a tenir en Kapusa dans la vallée de Tagab, le poste avancé de Hutnik.
Avec des camarades de régiment engagés à repousser un groupe de Talibans opressant, il fut victime de tirs indirects qui touchèrent aussi un civil afghan. Grièvement blessé, Steeve a été transporté a l’hôpital militaire de Kaboul où il s’éteint le 18 juin 2010, jour symbolique s’ il en est, laissant derrière lui, sa compagne et sa mère dont il était l’enfant unique et qui se retrouverait désormais seule jusqu’au dernier jour sur terre.
Et tandis que j’observai l’hommage rendu au fils du pays, il me revint en mémoire des souvenirs, des images et des écrits consacrés à des êtres courageux tombés au combat, parmi les plus glorieux de notre histoire : Belley l’haïtien, général de la Révolution qui fut le premier deputé à la Convention, issu de l’ esclavage, Delgrès et Solitude, Guadeloupéens libres qui perdirent la vie pour ne pas se retrouver entravés dans la servitude, les résistants qui surgirent après le 28 juin 1940, Jean Moulin, Joséphine Baker, Raphaël Elyzé, sans oublier Simone Weil la philosophe et Eugène Bullard, l’Hirondelle noire de la mort, ainsi que tous les illustres combattants du Red Ball Express, et encore les poètes Charles Péguy, Apollinaire, René-Guy Cadou, songeant de même à Ernest Hemingway et Benjamin Fondane, francophone par amour de la langue française, qui s’en vint de Bucarest pour disparaître cruellement a la suite d’une dénonciation anonyme, dans la nuit et le brouillard des Camps de la mort, tous frères et soeurs dans l’éternité retrouvée au coeur du seul combat qui vaille, celui de la liberté pour chaque homme et femme vivants sur terre, quelle que soit leur nationalité, leur religion ou leur prétendue race, tous liés par l’humilité de l’Esprit lors de leur passage terrestre.
Et Steeve Cocol et sa mère méritent bien plus encore que notre admiration ou notre gratitude. Nous leur devons la manifestation de tout cet Amour sur terre qui nous emporte vers les hauteurs célestes, Lui le Fils unique héros de notre temps, Elle, la Mère qui aime son fils.

Quelques jours plus tard, les cérémonies de la fête communale achevées, il se trouva que la mère de Steeve invita à dîner une amie d’enfance, ses petits-enfants ainsi que l’ancêtre de ce club des Cinq en vacances, pour fêter les retrouvailles de ces deux camarades qui partagèrent les plus belles années de leur vie à l’école, au collège puis au lycée, traversant plus tard l’Atlantique poursuivre leurs études et gagner leur vie, si loin de leur famille et bourg d’attache.
Soudain, au cours du dîner et alors que la mère de Steeve regardait les petits-enfants, le ton badin de la discussion changea du tout au tout lorsqu’elle nous dit : « je donnerais tout au monde pour l’un de ces enfants, tout au monde » reprit-elle, d’une voix lasse. Et elle se leva pour chercher une photo encadrée, celle d’ un très beau garçon, son fils disparu, Steeve l’ artilleur.
» j’étais au travail au centre spécialisé pour handicapés, poursuivit-elle, discutant dans un couloir avec une collègue quand on aperçut au fond du couloir deux soldats du R.S.M.A., en uniforme, approchant vers nous. Je me souviens de ma collègue qui souriait lorsque les deux militaires nous accostèrent. Ce fut la dernière vision dont je me souviens d’une vie qui disparut alors pour toujours. »
« Puis, plus rien, continua-t-elle. L’ un des deux militaires, l’officier, me dit qu’ils allaient s’occuper de tout. Ils m’ont accompagné à la maison, fait les valises, pris mon passeport, porté les bagages, je suis monté dans leur voiture, ils m’ont redit qu’ils s’occupaient de tout, absolument tout. Et une heure plus tard j’ étais dans le premier avion en partance pour Paris avec mes accompagnateurs. Même scénario pour sortir de l’ aéroport en métropole, se retrouver dans un hôtel comme un coq-en-pate et recevoir plus tard, les condoléances de la Nation, par le truchement de la voix émue du Président de la Republique ».
La mort n’attend pas.
Partageant sa tristesse, nous avons alors trinqué et bu tous les huit en mémoire de son fils Steeve Cocol, brigadier-chef du régiment des Hussards de Tarbes, artilleur héroïque pour nous sauver.
« Dis-nous dans quels lieux tu as erré »
Il me revint alors en mémoire des vers d’Homère cités dans une chronique consacrée à l’ Homme immobile selon Vassili Grossman.
Mais parle, et dis-nous dans quels lieux tu as erré, les pays que tu as vus, et les villes bien peuplées et les hommes, cruels et sauvages, ou justes et hospitaliers et dont l’esprit plaît aux Dieux. Dis pourquoi tu pleures en écoutant la destinée des Argiens, des Danaens et d’Ilios ! Les Dieux eux-mêmes ont fait ces choses et voulu la mort de tant de guerriers, afin qu’on les chantât dans les jours futurs.
(Homère l’Odyséée VIII, traduction de Leconte de Lisle, 1867)

Il nous est encore revenu les fabuleux vers de Benjamin Fondane, écrits en pleine tourmente inhumaine et assassine pendant la Seconde guerre mondiale, plus particulièrement cette strophe que tout écolier français devrait apprendre, extraite du poème Colère de la vision rédigé en 1943 ou 1944, qui a été ajouté au recueil L’exode, Super Flumina Babylonis, écrit en 1934 :
« Français selon la mort«
Je vous ai tous comptés
civils d’hier, comptables, boutiquiers, paysans
et ouvriers d’usine et clochards dont le nid
est sous les ponts de Notre-Dame
et bedeaux de sacristie et fils de l’Assistance
publique, tous Français de France , aux yeux limpides,
ou du Congo, du bled algérien, d’Annam
avec des palmiers flottant dans le regard
et des Français venus des îles caraïbes,
Français selon les Droits de l’Homme,
fils de la barricade et de la guillotine,
sans-culottes, le front incorruptible, libres,
et des Tchèques, et des Polonais, des Slovaques
et des Juifs de tous les ghettos de ce monde,
qui aimaient cette terre et ses ombres et ses fleuves,
qui ont ensemencé de leur mort cette terre
et qui sont devenus Français, selon la mort.«

Et là, en cette nuit de partage d’une douleur sans fin, il nous est apparu que le temps était venu de saluer tous les soldats tombés au champ d’honneur, de les chérir et d’ inviter chaque écolier sur le sol de France à apprendre ces vers aussi immortels que ceux d’ Homère.

Prière universelle en l’église de Sainte-Rose de Lima, Notre-Dame de Sofaïa et le sanctuaire de Notre-Dame des Larmes
Seigneur, faites que cette prière soit exaucée au seul nom de Steeve Cocol, mort pour la libération de toutes les femmes en la Terre entière, et plus particulièrement les femmes afghanes, interdites d’aller et venir dans l’espace public, emprisonnées quelles sont dans leur propre maison, ayant interdiction sous peine de la mort, d’apprendre, enseigner, soigner, rire, chanter, danser et même murmurer en toute humilité.
Ô Seigneur, délivre-nous du Mal qui entrave
Et permet :
- que chaque enfant des îles de la Caraibe, de France et du monde entier, soit entièrement délivré du mal d’acquérir des armes à feu pour trafiquer, menacer, braquer et tuer : nul n’a le droit de prendre la vie d’autrui, pardonne leur ignorance juvénile, guéris-les de toute tentation de violence ;
- Que chaque enfant des îles de la Caraîbe, d’Europe et du monde entier honore ses ancêtres, chérisse mère et père, veille sur leurs frères et sœurs, respecte l’ autorité publique, pour le Bien de tous ;
- Qu’au souvenir de Steeve et de sa mère qui l’aimera jusqu’au dernier jour, écoute notre prière pour l’ édification de chaque enfant des Antilles, d’Europe, d’ Afrique et du monde entier, appelé à devenir adulte, un Etre humain éloigné de toute inhumanité, et faire le Bien pour autrui.
Seigneur, exauce-nous

A Steeve Cocol, héros de la Nation en armes.
Rédigé au soir du 27 novembre 2025 entre 21 H et 3 H du matin, par l’auteur virtuel, pour qu’ il en soit ainsi connu.
Orietur, 270