la renaissance des monastères arméniens

Mont Ararat et Monastère de Khor Virap:

Dans une précédente chronique consacrée au vandalisme en Orient, il a été évoqué le sort funeste réservé aux monastères arméniens pendant le long hiver soviétique de 70 ans, entre 1920 et 1991. L’exercice des cultes apostoliques et catholiques arméniens ayant été interdit, le clergé et les religieux furent pourchassés, nombre d’entre eux exécutés ou jetés au Goulag, au point qu’à la chute du communisme, les deux églises  ne comptaient guère plus qu’une quarantaine d’écclésiastiques dans le pays. Dans le même temps, les monastères avaient été laissés à l’abandon ou transformés en bâtiments agricoles ou industriels.

monastere de Noravank

Monastère de Noravank

Redevenue indépendante le 21 septembre 1791 après un premier bref épisode entre 1917 et 1920, l’Arménie a renoué avec son héritage culturel brimé pendant la période communiste en raison de ses racines chrétiennes. L’Arménie revendique en effet d’être le premier pays à avoir adopté le christianisme comme religion d’Etat en 301, lorsque le roi Tiridate IV s’y convertit sous l’influence de saint Grégoire l’Illuminateur,deux siècles  après que l’apôtre Thaddée aurait été le premier à  évangéliser la région. A la suite de cette conversion, le moine Mesrot Machtots va créer un alphabet singulier constitué de 6 voyelles et 32 consonnes, inspiré du grec, qui va devenir la structure de la langue arménienne, rare exemple de la construction entièrement intellectuelle  par un seul homme, d’une langue qui constitue aujourd’hui encore le socle de la nation arménienne.

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Monastère d’Haghartzin

Dans le même temps que l’Arménie se débarrassaient des oripeaux sanglants des soviets, les Arméniens interdits de baptême sous la période communiste renouaient en masse avec ce sacrement qu’une grande majorité de la population de trois millions d’habitants demanda dans la décennie suivant la déclaration d’indépendance.

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Monastère de Gochavank

Redevenue chrétienne, l’Arménie ne pouvait que prêter une grande attention au sort terrible jusqu’alors réservé aux monastères qui constituaient pourtant les vigies du pays depuis des siècles. Ces monastères sont inscrits pour nombre d’entre eux  par l’UNESCO au patrimoine culturel mondial de l’humanité, ce qui n’est pas une assurance de survie comme on le constate à Palmyre en Syrie ; ils ont une originalité propre, étant, pour chacun d’entre eux, le témoignage unique d’une commune civilisation de l’âme.

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Monastère de Sanahin

A la différence des monastères occidentaux, les édifices ne donnent pas l’impression d’obéir à des plans d’ensemble communs, cherchant plutôt à s’adapter à la géographie des lieux, souvent périlleuse. Ce ne sont pas de vastes constructions étendues dans des vallons, mais plutôt des édicules plus ou moins miniscules perchés au sommet de montagnes difficiles d’accès, par des routes sinueuses et tortueuses.

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Monastère de Sevanavank, presqu’île aux Oiseaux du lac Sevan

Ces monastères ne respirent pas la richesse des moissons d’été mais suent la pauvreté des hivers rugueux où il faut aller chercher loin dans la forêt du bois pour se réchauffer. Mais il est vrai que cette impression est faussée par le fait qu’au début des années 90 pour faire face à l’embargo énergétique mis en place par les Russes qui priva l’Arménie de gaz pendant deux ans, plus de 80% des forêts ont alors disparu pour faire face aux terribles coupures d’électricité qui laissèrent les Arméniens dans le noir et le froid. La beauté des paysages arméniens en a profondément souffert.

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Monastère d’Haghpat

Cependant, si les plans d’ensemble de ces monastères ne semblent pas bénéficier d’une logique commune, il en va différemment des églises en leur sein qui, toutes, répondent à un mode harmonieux de constructions similaires. Ces chroniques n’ayant pas vocation à donner des cours d’architecture, le lecteur est invité à se reporter aux spécialistes qui répondent bien mieux aux interrogations légitimes en la matière, phrase destinée à masquer la totale incompétence de l’auteur virtuel dans ce domaine, d’autant qu’il est peu enclin à suivre les explications sympathiques des guides lors des traversées au pas de course des monastères. Ce qui compte c’est que le monastère revive!

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Monastère de Saghmosavank

Et justement, s’agissant des monastères arméniens, on ne peut que se féliciter des efforts entrepris pour qu’ils retrouvent une nouvelle vie tant ils sont de toute splendeur. On peut douter de la beauté des pierres même lorsque celles-ci matérialisent l’histoire des hommes. On trouve plus d’émotion dans la lumière exhalée par un vitrail que dans un pan de mur lépreux même si des piliers, des arches et des chapiteaux viennent égayer la construction. Seule, par exemple, la lumière apporte un peu d’âme à ces immenses constructions que sont nos cathédrales gothiques qui manquent d’humilité, lumière qui découpe la silhouette de ces navires perdus en ville ou qui entre dans la nef par les interstices hasardeuses des porches.

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Monastère de Khor-Virap, lieu saint de l’Arménie. C’est là, dans ce qui était alors une forteresse face au mont Erevan que Saint Grégoire l’Illuminateur aurait été détenu dans un profond cachot avant d’en être extrait et convaincre le roi d’Arménie de se convertir au christianisme en l’an 301 (voir aussi photo en introduction)

Pour la plupart à l’écart des grandes routes, les monastères d’Arménie, en revanche, se perdent  dans le brouillard et le givre qui ne laissent entrer que de rares rayons dans les édifices. Ce sont des veilleurs de nuit égarés dans le jour des hommes. Ils suscitent la mélancolie et la compassion tant leurs malheurs encore récents demeurent oppressants. Parfois, des khatchkars sculptés dans la pierre et plus ou moins nombreux, sont plantés en terre, adossés aux murs ou érigés vers le ciel en offrande aux morts dont on a tout oublié depuis des siècles pour nous signifier que l’Arménie n’en a pas fini avec le malheur, la stupeur des tremblements de terre, les ombres douloureuses des soviets, l’effondrement de l’industrie et de l’agriculture, les souffrances à coeur ouvert de l’histoire, et toujours ces éternels voisins turcs ou azeris qui complotent sa disparition, ce qui n’empêche pas l’Arménie, protégée par ses monastères de demeurer une terre d’espérance.

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Monastère rupestre de Geghard, avec des Khatchkars taillés directement dans la roche

Nous, Français, qui avons recueilli au début du vingtième siècle des milliers d’Arméniens en déshérance, chassés et pourchassés, avons reçu en héritage bien plus que de la reconnaissance de tout un peuple pour l’avoir consolé tout au cours de cette immense tragédie que fut le génocide en Arménie occidentale. Il nous est aujourd’hui donné la possibilité de nous rendre sur la terre de ces populations antérieurement errantes qui ont retrouvé une nation, voir de l’autre côté du mont Ararat dans l’ancienne Arménie orientale, ce que personne n’imaginait possible voilà un quart de siècle, renaître les monastères qui revivent non parce que les pierres, une à une, sont restaurées mais parce qu’au milieu d’entre elles, ont resurgi des femmes et des hommes qui vaquent à leurs occupations comme ils n’ont jamais cessé de le faire  en action ou en pensée le temps de leur absence.

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Monastère de Ketcharis à Tshagkazdor, « la vallée des fleurs », constitué de quatre églises, dont la rénovation a bénfécié de dons d’un Arménien de Vienne, Vladimir Harutyunian

Et s’il est un lieu sur terre où les élucubrations du diable sont toujours mises en déroute, c’est bien en Arménie. En cette terre si rude, si dure et si abrupte, l’homme ne peut compter que sur Dieu pour y vivre.

Le mémorial du génocide arménien de 1915 à Erevan (photo Maurice Page)

Mémorial du génocide arménien de 1915, à Erevan

Enfin, pas tout à fait ! l’Arménie peut aussi compter aussi sur  Kim Kardashian qui n’oublie pas de visiter les monastères lorsqu’elle se rend dans le pays de ses ancêtres. Ce qui fait une excellente publicité : Sur les pas de Kim Kardashian et Kanye West…

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Sur le site, il est possible de consulter plusieurs articles consacrés à l’Arménie :

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Cela dit, il reste encore un peu de travail de restauration pour retrouver partout toutes les couleurs d’origine, comme ici au monastère de Kobair!