Si vous ne savez que faire un long weekend comme celui de l’Ascension ou de la Pentecôte, allez visiter Saumur, car s’il est une ville qui symbolise l’élégance française, ou tout au moins ce qu’il en reste, c’est bien cette cité pétillante, dont les fines tours d’angle du château dominent la Loire de ses ardoises et de ses pierres blanches, le tuffeau. Ce fleuve insaisissable est unique au monde pour la beauté de ses paysages, ses chapelets de domaines royaux, est ses grappes d’églises et d’abbayes au milieu des raisins verts ou noirs selon les saisons. On peut aujourd’hui longer ses berges sur mille kilomètres, de la source de gerbier-des-Joncs à l’estuaire de Saint Nazaire. Et des hauteurs de Saumur, que ce soit en aval ou en amont, la vue y est magnifique, somptueuse, forcément royale.
L’auteur virtuel n’a pas vocation à devenir une agence de voyages ou éditeur de guides de tourisme, il s’intéresse seulement en des lieux qui ont une beauté universelle. Le val de Loire, coeur de la France éternelle, en fait partie, et il n’est pas de province qui ne justifie plus que de prévenir famille et amis bien longtemps à l’avance d’un tel projet de visite pour partager ensemble cette douceur de vivre enivrante, sauf à se retrouver triste sur le chemin du retour quand on réalise avoir manqué de croiser des proches au détour d’un chemin, à proximité d’une auberge où partager ces vins discrets et légers, à la simplicité secrète comme le Chinon, le Bourgeuil ou le Saumur-Champigny.
L’empire angevin de la maison des Plantagenets au XII et XIIIè siècle
Saumur donc est la ville du Cadre noir, de l’école nationale d’équitation et de l’école des officiers de blindés qui manoeuvrent au camp de Fontevraud, à proximité immédiate de la grandiose abbaye royale du même nom, exceptionnelle non seulement par son patrimoine architectural mais aussi pour son histoire : on y trouve les gisants des plus émiments membres de la dynastie de l’empire Angevin, plus connue en France sous le nom d’empire Plantagenêt : Henri II et sa femme Elianor d’Aquitaine, Richard Coeur de Lion, l’un de leur fils, immortalisé lors de son retour au Royaume d’Angleterre dans l’histoire de Robin des Bois, mondialement célèbre pour ses multiples adaptations au cinéma. http://www.fontevraud.fr/10-bonnes-raisons-de-visiter-Fontevraud
Gisant d’Henri II Plantagenêt, à l’abbaye de Fontevraud
Pour comprendre l’histoire moderne de Saumur, hors ce château aux hauteurs vertigineuses et fantasmatiques à la tombée de la nuit, que l’on imagine volontiers être celui de la Belle au bois dormant, il faut se rendre sur la falaise surplombant la Loire.
C’est là qu’en juin 1940, lors de la déroute face à l’armée allemande, est intervenu l’ultime épisode valeureux de l’armée française, quand 800 élèves officiers de l’école de cavalerie, soutenus par les élèves sous-officiers de Saint-Maixent ainsi qu’une compagnie de tirailleurs algériens, soit au total deux mille cinq cents hommes tinrent tête quatre jours durant à la 1ère division de cavalerie allemande, en un combat désespéré pour les empêcher de franchir le fleuve. Parmi les Cadets, figurait un certain Maurice Druon (à droite sur la photo ci-après, en compagnie d’un sous-officier de Saint Maixent et d’un tirailleur algérien). Face à 40.000 hommes lourdement armés, les Cadets de Saumur, mal équipés, résistèrent entre le 19 et le 24 juin, refusant d’obéir à l’ordre de Pétain de cesser le combat, ce qui constitue sur le territoire national le premier acte de résistance à mettre au crédit de militaires décidés à continuer de lutter. Cet acte de bravoure sera salué par le général Feldt qui demandera à son armée de ne pas faire prisonnier ces cadets et de leur rendre les honneurs à leur passage sur le chemin de la future zone libre. Cet état d’esprit de courage et d’abnégation dans l’adversité demeure celui de l’école de cavalerie de blindés et de manière générale de tout l’Anjou qui n’est pas pays à s’en laisser conter par les balivernes. http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9fense_de_la_Loire
Une initative privée, par ailleurs, a conduit à ce que Saumur abrite le plus grand musée de blindés au monde, en concurrence avec celui des soviets. On peut aussi visiter dans les environs le château de Brézé, célèbre pour ses immenses souterrains qui étaient capables d’abriter une petite ville en cas de siège, et qui est aussi domaine réputé d’un excellent Saumur. http://www.chateaudebreze.com/
En amont du fleuve, il faut aussi visiter le village troglodyte de Turquant, creusé dans la falaise calcaire, et dont le nom fut pris par Michel Débré comme pseudonyme dans la Résistance. Séjourner dans un hôtel troglodyte n’est pas sans charme pour ceux qui ne sont pas claustrophobes.
Plus loin le château donjon de la dame de Montsoreau se visite aussi, d’où se rendre ensuite rive droite à Bourgueil et saint Nicolas de Bourgueil ou sur les rives de la Vienne jusqu’à la citadelle royale de Chinon pour y boire, sous les arbres de la place principale, ce vin léger et frais d’un excellent tonneau qu’est le Chinon.
Et si l’on poursuit en aval de Saumur en direction d’Angers, toujours sur la rive gauche, il ne faut pas manquer une succession de villages parmi les plus beaux de France, Chenehutte, Trêves, et Cunault dont la prieurale Notre Dame et un chef d’oeuvre de l’art roman avec ses peintures murales et ses 223 chapiteaux sculptés. http://www.ot-saumur.fr/PRIEURALE-NOTRE-DAME-DE-CUNAULT_a716.html
L’élégance française se manifeste à Saumur avec le célèbre Cadre noir de Saumur qui perpétue l’art du dressage équestre, loin de Balzac, ce cheval fourbu lorsqu’il s’épuisait au travail tirant la charette des mots destinés aux lecteurs, pour rédiger par exemple son célèbre roman Eugénie Grandet qui se situe à Saumur justement. http://www.cadrenoir.fr/
Pour passer trois ou quatre jours à Saumur, on ne manque pas de lieux d’excursion qui peuvent être atteints en vélo ou à pied, les itinéraires ne manquant pas pour bénéficier des bienfaits de la marche ou de l’exercice de la bicyclette ou du tandem. Pour les amateurs des jours anciens (« vintage »), il est même possible aujourd’hui de louer de vieilles voitures pour silloner la région et longer le fleuve qui semble si calme et tranquille, mais dont il faut se méfier des tourbillons et sables mouvants qui peuvent aspirer les étourdis et autres matamores.
Reste à savoir où se loger. Pour les désargentés, il existe une grande auberge de jeunesse à vocation internationale, mais en haute saison, il faut s’y prendre longtemps à l’avance ; d’excellents campings idéalement situés le long du fleuve peuvent aussi vous accueillir. Nombreux sont les manants des villes qui veulent jouer à la petite ou grande noblesse en séjournant dans l’un des innombrables châteaux dont les propriétaires, pour faire face aux charges d’entretien, se retrouvent plus ou moins contraints et forcés, de jouer au châtelain d’accueil. Le plus agréable, pourtant, est de descendre dans l’un des hôtels du centre de la ville au pied du château, pour visiter un quartier ancien relativement réduit, la ville ayant été touchée par des bombardements deux fois, en juin 1940, à l’aller, lors de l’avancée des troupes allemandes, et au retour, lors de leur recul contraint et forcé, en juillet 1944. Il reste heureusement de fort belles demeures, et de vieilles rues animées les jours de marché, notamment le samedi qui a la bonne idée d’être, jusqu’à nouvel ordre, un jour de weekend.
Il ne faut surtout pas oublier de passer chez Combier le liquoriste pour s’approvisionner en Triple sec Royal Combier ou sirops, l’Anjou étant réputé pour ses fabriques de liqueurs tels que Cointreau, Giffard et Combier dont la fabrique en fer a été construite par un certain Gustave Eiffel. Avec tout celà, si vous n’allez pas visiter Saumur et ses environs, c’est que vous êtes rétif à ces mille ans d’histoire qui vous attendent depuis les Plantagenêt, aux deux mille ans et plus de vignobles qui enchantent les côtaux et les cinq mille ans au moins d’habitat troglodytique.
Les étrangers y viennent en nombre, Anglais et Bavarois, Flamands et Suédois, Américains et Japonais, ils aiment tous la Loire et ses châteaux, et il n’est pas rare aujourd’hui d’y croiser des touristes provenant de ce qui était avant la chute du mur de Berlin, cette autre Europe, Slovaques, Slovènes ou Polonais, quand ce ne sont pas des voyageurs venus d’Afrique, ayant parcouru une distance aussi longue que celle effectuée par un oiseau migrateur comme le flamant rose, en provenance d’Abidjan, Lomé ou Dakar.
Pour toutes celles et ceux qui viennent de très loin, il est alors recommandé de faire halte à Notre Dame des Ardilliers, un lieu de pélerinage probablement celte, devenu un monument emblématique d’une France qui disparaît, celle de la Foi populaire.
Tout recommence au début du quinzième siècle, avec une fontaine dont les sources sont si merveilleuses que les Saumurois envisagent de construire une canalisation jusqu’à la place Saint Pierre au centre de Saumur où se trouve la principale église de la ville. Cette fontaine fort anncienne qui faisait vraisemblablement l’objet d’un culte païen est soudainement christianisée avec la découverte inopinée d’une statuette devenue Vierge de piété, comme ce fut souvent le cas dans l’Ouest de la France. En 1534, il est décidé la construction d’une chapelle pour l’accueil des pélerins qui viennent de plus en plus nombreux, de toute l’Anjou mais aussi des provinces voisines.
Les guerres de religion entravent les pélerinages qui ne reprennent qu’en 1594, la chapelle et la Pieta ayant été dévastée par les Huguenots. L’annonce de 15 miracles spectaculaires cette année-là rend le sanctuaire parmi les plus populaires de France avec Notre Dame de Liesse et Notre Dame du Puy. les miracles se multipliant pour devenir plus de cent vingt , les lieux sont confiés aux Oratoriens. La venue de quatre reines et le passage par cinq fois du Roi Louis XIII font de Notre dame des Ardilliers, le pélerinage des Bourbons.
La chapelle devient église au milieu du XVIIème siècle, lorsque Servien, marquis de Sablé, secrétaire d’Etat à la Guerre décide de financer la construction d’un immense vestibule et d’une vaste rotonde baroque surmontée d’une coupole ovoïde, sur le modèle du Panthéon à Rome, du temple d’Albano et des édifices romains de la Renaissance. A la suite d’innombrable difficultés de financement et de désaccords sur la signification à donner au lieu de culte, la rotonde ne sera achevée qu’en 1697, quarante ans après le commencement des travaux : la croix culmine à quarante deux mètres au-dessus du sol, l’ensemble des bâtiments ayant été construits dans un univers champêtre entre la Loire et les coteaux, ce qui est assez étonnant pour une basilique surmontée d’une coupole. On y trouve enfin un tableau de l’atelier de Philippe de Champaigne figurant la présentation de jésus au temple.
Et si les châteaux, les églises et les liqueurs vous ennuient, que vous ne trouvez aucun charme à un fleuve qui n’est après tout qu’un débit d’eau s’ensablant parfois, il vous reste la possibilité de vous intéresser aux vaches Maine-Anjou, la Rolls-Royce laitière qu’aucun paysan de l’Ouest ne céderait pour tout l’or du monde, car une ferme angevine sans vaches, c’est un peu comme un producteur de foie gras sans oies. Mais il faut savoir, pour celui qui veut s’occuper d’une vache Maine-Anjou que celle-ci demande beaucoup d’affection pour éviter que le lait ne tourne.
Mais, me direz-vous en quoi Saumur symbolise t-elle l’élégance française en dehors de son Cadre noir, son Triple sec, son château, ses troglodytes, ses vins et sa source merveilleuse ? Et bien, c’est aussi le lieu de naissance d’une certaine Coco Chanel, cette célèbre dame aux colliers de perles qui ne dédaignait pas de s’encanailler avec de beaux officiers Allemands au point d’être recrutée par l’ennemi comme espionne, comme quoi personne n’est parfait. Cela dit passer quelques jours à Saumur pour se promener est une chose, y vivre une année quand on a vingt ans, est autre chose. Quelques rasades de Triple sec s’imposent pour tenir le coup si l’on n’apprécie pas les crottes de cheval, les blindés et encore moins la trahison à la mode Chanel.
Coco Chanel la Saumuroise