
Voici une histoire étonnante pour reprendre le titre choisi par Guy Clouet, généalogiste inlassable de la famille normande Clouet, dont il faut saluer ici le travail pour nous conter plus qu’une histoire, un récit traversant les siècles, l’océan et les continents dans la grande chaîne des générations qui se succèdent, en un éternel retour de la Vie au-dessus des vies humaines. En toute humilité et petitesse.
Cette histoire constitue l’avant-premier chapitre de « Normandie Inquiry« , douzième et dernier livre de Life On Mars, dont le titre « Perpétuité » est une référence énigmatique à Fragments 5/11, de Blaise Pascal reprenant Saint Augustin, consacrée aux mystères de la succession des générations qui ne font qu’ une seule personne depuis la Création du monde, mystères déjà évoqués par l’Auteur virtuel dans quatre chroniques qui n’ en font qu’une évoquant les Six âges de la vie humaine.
Le récit qui suit, met aussi en évidence les relations généalogiques entre des familles normandes ayant vécu ou vivant à Lisieux ou vécu aux Antilles, depuis douze générations, notamment les familles Hayot, Elizé, Magloire et Savary, cette dernière liée à la famille Clouet par mariage ayant donné lieu à abondance de descendance.
Que Dieu nous garde et perpétue ces liens au fil des âges.

Récit de Guy Clouet, notre « oncle d’ Afrique »
Quand les histoires naissent, on ne sait jamais où elles vous emmènent. Les contes commencent souvent ainsi : « Il était une fois… ». Mais l’histoire que je vais vous raconter n’est pas un conte : c’est le récit de deux lexoviens : Jeanne Hiron et Jean Hayot de la paroisse Saint Germain, baptisés dans cette ancienne église de Lisieux, située sur cette place du centre de la ville qui maintenant s’appelle Place François Mitterrand après avoir été place Thiers, place Impériale et place Saint Germain. Hiron et Hayot sont des noms assez répandus dans cette petite cité de Normandie située à mi-parcours de Rouen et de Caen.
Au milieu de ce XVIIème siècle, Lisieux ne possède qu’environ 10.000 habitants. Le XVème siècle a vu la cité se reconstruire après les désastres de la guerre de cent ans et la prise de la ville par le duc de Lancastre en 1356. En 1446 la ville redevient française et Lisieux s’entoure alors d’une nouvelle muraille encerclant les nouveaux quartiers de l’ouest et laissant à l’extérieur l’île Saint-Dominique et le faubourg Saint-Désir. La reconstruction va durer jusqu’au milieu du XVème siècle où l’on inaugure les églises Saint-Jacques et Saint-Germain détruites par les anglais. On assiste à ce moment à la fin des travaux de la ville médiévale.
Au XVIIème siècle, les évêques reconstruisent le Palais épiscopal et y aménagent de vastes jardins en abattant une partie des remparts et des tours. Puis le XVIIème siècle et le début du XVIIIème siècle voient la création de nombreux établissements religieux, d’enseignement et d’assistance. Parallèlement, les constructions privées s’édifient au centre de la ville : maisons à pan de bois mais aussi en pierres de taille ou en pierres de silex et briques, au goût de l’époque.
Des activités artisanales et industrielles se développent en bordure des rivières, la Touques et l’Orbiquet. En 1610 on compte six moulins en ville ou en dehors des remparts. Au XVIII ème siècle un autre moulin s’ajoute. Cependant l’activité principale de la région de Lisieux reste agricole, de pâture et d’élevage, de petites exploitations dont la propriété reste le plus souvent celle des seigneurs des lieux.
Une « paction de mariage » du 26 décembre 1644, passée « par-devant seul notaire garde-notte héréditaire pour le Roy à Lisieux, vicomté d’Orbec et seul tabellion au comté dudit Lisieux », nous informe des termes du contrat passé entre les futurs époux. (C’est un acte notarié typique de cette époque)
Nous ne connaissons pas les conditions du mariage de Jean Hayot et de Jeanne Hiron. On sait simplement qu’ils habitent la paroisse Saint-Germain. Vous ne trouverez pas les ruines de l’église ni même quelque reste de son emplacement.
Devenue bien national à la Révolution, l’église Saint Germain fut vendue le 22 ventôse An IV (12 mars 1798), fut abattue et son cimetière nivelé. Les six maisons proches furent conservée jusqu’en 1860. Figurez-vous que les pierres de l’édifice servirent à bâtir un théâtre à l’ancienne Porte de Paris, à l’emplacement de l’actuel Café de la Rotonde (2 rue Henri-Chéron)… (« Dictionnaire des noms de rues et de lieux-dits de Lisieux » par Dominique Fournier).

Cathédrale de Lisieux
Cela ne vous dit rien ? Mais si voyons ! Au 2 rue Henri Chéron était située l’épicerie de Grand-père Clouet et c’est dans cette maison que Papa naquit en 1904. Mais ce n’est pas de notre histoire dont je veux vous parler mais de ces deux jeunes habitants nommés Jeanne Hiron et Jean Hayot. La plus jeune est née en 1627 et baptisée en 1628. Son père s’appelait Raphaël. (« Hiron » est un nom de famille, dérivé de l’ancien français hire, grognement, surnom de grognon. Ce nom fait aussi penser à hirondelle). Plus tard en 1648, cette demoiselle va se marier, toujours dans l’église Saint-Germain, avec Jean Hayot (ou Hays) né en 1625 (Hayot est un nom de famille, diminutif de haie, il désigne celui qui garde les haies, nom de métier.)
Leurs deux familles sont sans doute des gens simples, sans grande fortune et peut-être même, artisans besogneux travaillant aux tanneries sur les rives de l’Orbiquet longeant l’intérieur des anciens remparts de Lisieux. (Ces tanneurs étaient approximativement installés du boulevard Sainte-Anne à la rue du Moulin à Tan, en passant sous le groupe scolaire Jean Macé, lieux actuels). On ne sait en réalité quel était leur métier ni quel était leur degré d’instruction. Ces familles habitaient la paroisse du centre de la ville, les deux autres paroisses de ce temps étaient Saint Jacques plus au nord et Saint Désir plus à l’ouest. Cultivaient-ils un lopin de terre ou plus sûrement étaient-ils au service d’un bourgeois de la ville ?
Louis du Bois, historien de Lisieux, indique qu’en 1628 fut fondée dans cette ville une école gratuite pour l’instruction des deux sexes. En 1631, l’établissement des Ursulines était fondé et s’installa plus tard dans la rue du Bouteiller. Lorsque ces deux jeunes s’épousent en 1648, c’est Léonor 1er de Matignon qui est évêque de Lisieux depuis 1646, l’un des deux Comtes-évêques qui firent construire le Palais épiscopal. On notera aussi qu’en 1635 et jusqu’en 1637 la ville de Lisieux est affligée de maladies épidémiques qu’on appelait alors la peste. Ces deux jeunes ont, en ce temps, une dizaine d’années et ils vont survivre puisque de leur union naîtra un fils en 1652.

Les bords de la Touques, gravure non datée
La peste ravage la ville comme en bien d’autres endroits de France. Dans ces mêmes années, des dissensions s’exaspèrent entre le Roi de France et les Nobles de province : c’est la Fronde et l’on remarque plusieurs soulèvements en Normandie. La peste persiste et en 1651 l’épidémie ravage la population d’une façon encore plus désastreuse qu’en 1635 et 1637. Est-ce ces épidémies qui font fuir les deux jeunes mariés ? On les retrouve à Saint-Malo où naît leur fils. Ses parents vont l’appeler Jean comme son père (c’est la tradition) mais peut-être à cause de son doux visage, sa mère l’appellera « Jolicoeur ».

Ce port de la Bretagne du nord se trouve à de nombreuses lieues de Lisieux et il est permis de se demander pourquoi nous retrouvons la toute jeune famille Hayot en cet endroit. Un historien du petit port de Honfleur (Charles Bréard – « Vieilles rues et Vieilles maisons de Honfleur ») nous en donne l’explication et raconte, au sujet de la rue de la Bavolle de cette ville :
« Une bavolle est un ouvrage de fortification qui a été en usage pour défendre l’entrée d’une rue et pour empêcher que l’assaillant n’y pénètre d’emblée. La tête de cette rue était fortifiée par ce genre d’ouvrage qui murait le passage. Un acte de 1588 en fait mention et désigne une maison appartenant aux enfants de Robert de Baonne, située paroisse de Saint-Catherine, au lieu-dit Saint-Nicol, « près de la porte ou bavolle dudict lieu ». La porte a disparu probablement vers l’année 1598, alors qu’Henri IV ordonna le démantèlement de la place…. »
« … Dans la rue de le Bavolle nous trouvons, sur la droite, une large porte donnant accès à une propriété particulière jadis boisée mais peu habitée. L’endroit mérite d’être mentionné autant pour le nom qu’il porte que pour la famille qui l’a possédé. Il se nomme Quiquengrogne. Deux habitations furent élevées sur cet emplacement dont la plus vaste porte le numéro 26 de la rue de la Bavolle. Elle a été bâtie au temps de Louis XIII (1601-1643) par « haut et puissant seigneur » Jean de Boisseret conseiller du roi, correcteur en la chambre des comptes, seigneur d’Herblay, de Montigny, propriétaire pour moitié des îles de la Guadeloupe, la Désirade, les Saintes, la Grande et Petite Terre, îles et îlots en dépendant. Le Manoir de Quiquengrogne, privé de tout caractère seigneurial, les Boisseret en avaient fait leur résidence au temps où la Compagnies des îles d’Amérique avait été réorganisée. »
« Ce fut alors qu’il y eut dans la rue de la Bavolle une véritable agence d’enrôlement de colons pour l’île de Saint-Christophe. La maison dite Quiquengrogne en a été le bureau. On y venait des paroisses voisines solliciter la faveur d’être embarqué pour les Antilles. Le paysan normand était un précieux colon pour ces îles ; il s’y acclimatait parfaitement ; il s’entendait fort bien à tirer parti de la terre, à cultiver avec profit le sucre et le tabac. »
« La propriété de Quiquengrogne passa aux mains de Jean de Boisseret, deuxième du nom, marquis de Sainte-Marie décédé en 1739 dans sa maison de Quiquengrogne ; il fut inhumé en l’église des capucins de Honfleur. Son fils François-Pierre de Boisseret, chevalier, marquis de Sainte-Marie, ne conserva pas la maison dite Quiquengrogne. Elle fut vendue par acte du 8 juillet 1751 à Pierre Coulon, bourgeois et négociant. »

Que fit donc le couple Hayot entre la date de leur mariage en 1648 et la naissance de leur fils à Saint-Malo en 1652. Vraisemblablement fuyant la peste, ils partirent à pied ou en patache (voiture hippomobile lourde, lente, de mauvaise qualité, ou vieille diligence) pour se rendre à Honfleur. Ce petit port côtier est depuis longtemps le lieu propice pour gagner les terres lointaines. C’est de là que Samuel de Champlain est parti le 15 mars 1603 comme assistant de François Gravé, sieur du Pont, pour explorer les rives du Saint Laurent au Canada.
C’est un port vers un ailleurs d’aventures. Jean Hayot va se faire enrôler pour un voyage « aux îles » dont les échos des discussions se répandaient alors dans la ville de Lisieux. Venant d’Equemauville ils descendirent la côte de Saint-Nicol et se rendirent au bureau d’enrôlement de Quiquengrogne espérant l’embarquement sur un prochain navire en partance pour les îles. N’y avait-il trop peu de candidats au voyage ?
Après que les jeunes gens eurent embarqués en Seine au large du petit port d’Honfleur, avec quelques autres paysans de la région du Pays d’Auge, le capitaine décida de voguer d’abord vers le port de Bretagne où il savait pouvoir trouver d’autres passagers pour la destination. Passé le Cotentin le voilier approcha les îlots qui encerclent la baie de Saint-Malo. Le temps d’escale permit à la jeune femme d’accoucher, à moins que le voyage n’ait précipité l’arrivée au monde du jeune Jean « alias Jolicoeur ». On le baptisa à terre dans une chapelle latérale dite St Sébastien dans une église de Saint-Malo le 16 janvier 1652. Le grand voyage commença dans les jours suivants, une fois que furent recrutés les candidats à l’exil vers les Amériques. D’autres voiliers les accompagnaient, tous armés pour se défendre des escadres anglaises, espagnoles ou hollandaises voguant elles aussi vers les îles dont on disait qu’elles étaient riches.
En ce temps-là, les routes maritimes étaient incertaines et les terres lointaines appartenaient aux plus puissants des découvreurs. Les marins dieppois emmenés par des flibustiers au service du roi de France s’étaient implantés dans un des nombreux îlots de l’arc des Caraïbes et cohabitaient avec une colonie anglaise qui avait accepté la présence des français en leur attribuant une partie de l’île. C’est sur cette terre que les Hayot débarquèrent avec leurs autres compagnons de voyage. L’île s’appelait Saint-Christophe.

On lira avec intérêt l’histoire de cette île, reprise des ouvrages de référence suivants :
Histoire générale des isles de S. Christophe, de la Guadeloupe, de la Martinique et autres dans l’Amérique par Jean-Baptiste Du Tertre (1654)
Nouveau voyage aux isles d’Amérique (tome second) par Jean-Baptiste Labat (1724)
En 1651 la compagnie des îles d’Amérique qui gère l’île de St Christophe, fait faillite et Philippe de Longvilliers de Poincy réussit à convaincre le grand maître de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem d’acheter les colonies de Saint-Christophe, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Sainte-Croix. L’accord est confirmé en 1653 par le roi de France Louis XIV. Les Hospitaliers ont compétences temporelle et spirituelle à la condition de ne nommer sur leurs îles que des chevaliers des langues du royaume de France et de fournir au roi 1000 écus d’or chaque année. Mais la situation est de plus en plus difficile : le traité signé avec les anglais et les caraïbes dure peu. Les revenus tirés de la colonie sont de peu de rendement. Finalement l’île de Saint-Christophe est envahie par les Anglais en 1660.
Nous ne connaissons pas la date de départ du navire sur lequel voyagent le couple Hayot-Hiron et son fils, ni combien de temps va durer la traversée de Saint-Malo à l’île de Saint-Christophe. Ils vont débarquer entre 1653 et 1660. L’incertitude sur la vie de tous ces colons ne permet pas de fixer des dates précises Les actes de mariage des deux fils, Jean et Louis, de Jean Hayot « dit Jolicoeur » disent que leur père épousa une créole de la paroisse Sainte-Anne de cette île. Cette Louise Mercier naquit pour certains en 1661 et se serait mariée à Sandy Point (Île de Kitts and Nevis) en 1672, ce qui n’est pas anormal, sachant que les jeunes créoles sont très vite épousables à cette époque.
La naissance du premier enfant daterait de 1685 après s’être installé au Prêcheur, village près de la première implantation des colons français en 1635 tout au nord de l’île de la Martinique sur les pentes de la Montagne Pelée. Jolicoeur est militaire et assure la sécurité de l’île comme nombre des nouveaux colons. Chacun sait que les principales plantations agricoles de la Martinique sont la canne à sucre et la banane. On sait moins que le café y fut aussi cultivé, apporté dit-on par de Gabriel Mathieu Clieu qui fit pousser son premier plant au Prêcheur en 1723 au milieu de buisson épineux, sous la constante surveillance des esclaves. La première récolte eut lieu en 1726. Il ne semble pas que Jolicoeur Hayot et sa famille soit resté au Prêcheur comme planteur.

Dès 1es années 1690-1695 la famille émigre à Fort-de-France où naît un fils François Hayot le 17 janvier 1696. Celui-ci va devenir planteur ainsi que son père et va habiter au sud-est de Fort-de-France dans un petit village nommé Trou-au-Chat. Il y cultive des caféiers. Ses enfants ne resteront pas au Trou-au-Chat qui devient petit à petit un gros bourg, une ville, et prendra le nom de Ducos.
La famille se disperse alors, dans les bourgs des Anses d’Arlet (Jean-François Hayot 1733-1788), de Saint-Esprit (Christophe Hayot 1784-1852) de Rivière-Salée (Charles Marius Hayot 1814-….), des Anses d’Arlet (Marius André Hayot 1842). Celui-ci s’installe à Fort-de-France et rejoint ses deux filles en France à Paris. L’une Caroline Hayot (1891-1946) épousera Raphaël Elizé (1891-1945) vétérinaire, Maire de Sablé-sur-Sarthe L’autre Cléis Hayot (1876-1943) épousera Théodore Magloire industriel (1871-1910). De ce dernier mariage seront issus deux garçons, René Magloire (1899-1978) ingénieur et l’autre Charles Magloire (1901-1980) médecin à Ambleny (Aisne). Celui-ci épousera Simone Savary (1904-1936) et par ce mariage rejoindra ainsi la lignée normande des Savary-Enguerrand de Lisieux (Calvados).
Ainsi se boucle le long voyage de Jean Hayot et Jeanne Hiron après quatre siècles et neuf générations qui se perpétuent jusqu’à ce jour (treize générations).

Raphaël Elizé, vétérinaire, élu maire de Sablé-sur-Sarthe, résistant, mort en déportation

Ambleny, près de Soissons, Aisne, le donjon
Déblaiement en 1919 des ruines de l’église d’Ambleny, le village ayant été détruit en juin 1918 à la suite d’un assaut fort de 3.000 soldats Allemands, repoussé par un régiment d’artillerie de 1.300 soldats
C’est ici à que le docteur Charles Magloire en 1951, prit la succession du docteur Sextus Pierre Agricole, Martiniquais lui-aussi arrivé de son île en tant que médecin à Ambleny en 1899, en compagnie de son épouse Eléonore Hayot. Sans enfant, ils prirent l’habitude d’accueillir des étudiants antillais esseulés à Paris au début du vingtième siècle tout comme René et Charles Magloire, mais encore Barbe, futur général d’intendance, Blacher, gouverneur de colonies, Severe, ainsi que Robert Attuly, le père de Jean-Pierre Versini-Campinchi, célèbre avocat, auteur du livre de mémoires, Papiers d’identité.