Jours de fanfare dans le Haut Anjou

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Alors qu’enfants nous regardions passer les fanfares, habillés d’un short bien moins long qu’un trombone pour que nous le portions en toutes saisons, nous ignorions ce que René-Guy Cadou écrivait alors dans sa préface à Hélène ou le règne végétal : je ne cèle point que mes poèmes m’arrivent de bien plus loin que moi-même et que, vous autres, je vous entretiens d’un monde fugace, inaccessible comme un feu d’herbes et tout environné de maléfices. Je vous fais voir un pays sans horizons possibles, mais maintes fois reconnaissable au chef orné de garance et de pourpre.

Dans ce pays sans horizons possibles qu’était alors le Haut Anjou, il est impossible de ne pas vous entretenir au titre de ces choses que l’on n’oublie jamais, de ce monde fugace que furent les batteries-fanfares, ces harmonies villageoises qui défilent en cor aujourd’hui dans notre tête au rythme d’un fox-trot endiablé alors que résonnent au milieu des champs silencieux l’écho des sonneries aux morts, en mémoire de tous ceux tombés au cours des guerres européennes du vingtième siècle, qui n’ont jamais vraiment cessé jusqu’à ce jour.

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Reconstitution d’une fête villageoise à Saint-Denis d’Anjou

A ce propos, n’allez pas imaginer que tous les paysans du Haut Anjou allaient se jeter sous les trains, se pendre dans la grange ou se noyer dans l’alcool jusqu’à n’avoir plus soif pour l’éternité, il leur arrivait aussi d’être joyeux les jours de fanfare, qui n’étaient pas des jours comme les autres, mais des jours au caractère de liberté unique, participant aux saisons de la terre et à celles de l’homme.

Bazouges-sur-Loir, en Anjou, au nord d’Angers

La fanfare villageoise est une tradition qui s’est perdue en même temps qu’on a dispersé la paysannerie à tous vents. La fanfare obéissait en effet à des principes immuables que Shakespeare n’aurait pas renié : beaucoup de bruit pour rien ou presque rien pour être précis.

Chaque semaine, les fanfarons, car comment les appeler autrement, se réunissaient dans la caserne des pompiers, ce qui tombait plutôt bien puisque c’étaient eux les premiers concernés en assurant l’effectif principal de la fanfare, à croire que la sélection pour devenir soldat du feu était de souffler dans une trompette ou jouer de la grosse caisse.

Fanfare de Chanzeaux, Anjou, années 50

On n’imagine pas ce que cela demande d’entraînement que le défilé d’une fanfare. Tout est affaire de chopines. On se réunit, on boit plus que de raison, on discute, on s’échauffe dans les échanges avec force coups de gueule et de temps en temps des virulents coups de poing, et on en sort ennemis pour toujours jusqu’à la prochaine séance la semaine suivante. De musique, il n’en est point question puisque l’on joue toujours la même chose à chaque défilé, sans jamais la moindre variation au programme. C’est qu’il faut assurer le rythme et la marche en cadence derrière le porte-étendard, l’improvisation est impossible d’autant qu’il faut boire pour tenir la distance, heureusement que tout est bon dans la gnôle ou le guignolet.

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Fanfare de Chanzeaux, Anjou, 1938

Précédé des sempiternelles majorettes à cuisse forte, l’orchestre de fanfare déroulait la musique au son des trombones, des euphoniums et des cornets à piston accompagnés de grosses caisses et cymbales, et les jours propices, de clarinettes et flûtes traversières qui transformaient l’ensemble en harmonie-fanfare qui comme son nom ne l’indique pas, émettait des sons beaucoup moins harmonieux. Car plus il y avait d’instruments, plus les discordances s’accentuaient, surtout les jours de pluie qui empêchaient de lire en toute sérénité les carnets de partition pour les défilés et parades.

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L’élan de Gonnord, à Valanjou

Car la fanfare aimait la parade, défilant au milieu de spectateurs qui cherchaient l’un le grand oncle ou le cousin à la mode normande, l’autre le gamin cymbalant pour la première fois sans s’emballer. C’est que l’on pouvait débuter à s’enfanfarer tôt dans la vie, pourvu que le talent y fut, et là tout était affaire de gosier vu que le môme dès sa plus tendre enfance était habitué à la goutte dans le café, ce nectar enchanté qui rendait les jours plus supportables dès lors que l’on commençait au biberon à apprendre que l’alcool ne tue pas mais vous requinque un nouveau-né.

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Batterie fanfare « la Jeanne d’arc » de Melay en Anjou, créée par l’abbé Papin qui écrivit aussi ces paroles inoubliables : Chez madame Dupin il y a du bon vin, chez madame Duvin il y a du bon pain.

Mais comme on était gens sérieux en Haut Anjou, l’harmonie traversait rarement le village, seulement pour les grandes occasions, non pas qu’on fut économe en efforts, mais il y pleuvait trop souvent pour prendre le risque de noyer le trombone à chaque fois. Le défilé aux lampions du 14 Juillet, celui du 15 août et le dimanche de la Fête-Dieu suffisaient au bonheur des musiciens,  justifiant de se réunir cinquante fois dans l’année pour s’empinarder loin des femmes et des chiards qui vous rendaient la vie impossible.

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Fanfare Saint Joseph de Neuvy-en-Mauges,  en Anjou

C’est qu’on ne défilait pas seulement, la fanfare jouait aussi à l’église pour les circonstances solennelles, aux Rameaux ou à l’Assomption, dès lors qu’il y avait motif  à se réjouir.  Et l’orchestre s’y donnait à coeur joie, se déchaînant dans l’allégresse du chant d’entrée, improvisant à l’offertoire, suppliant à la communion pour trompeter sous les murs de Jéricho au chant de sortie, qui résonnait bien au-delà des champs du village à s’en aller épouvanter les diablotins en enfer. Car plus l’occasion était religieuse, plus les sons s’accentuaient, plus le volume montait, et dans la nef de l’église au choeur Plantagenêt, tout commençait par chevroter, trembloter et trembler, jusqu’à en faire vibrer et tressaillir les vitraux moyenâgeux, à croire que les bâtisseurs disposaient déjà d’une harmonie pour contrôler la solidité de l’édifice. Même les cloches finissaient par remuer et sursauter tandis que les paroissiens à la fin de la messe, sur le parvis, s’égayaient dans l’affolement généralisé des carillons déchaînés, surtout dans les grandes occasions comme un mariage époustouflant.

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Mais la fanfare ne trouvait véritablement sa raison d’être que dans les circonstances officielles. Il y avait bien sûr l’inévitable dépôt de gerbe au 11 novembre et la sonnerie aux morts dont on se demande encore s’il ne s’agissait pas de préparer la Résurrection en s’exerçant aux sons stridents. Un coup de clairon à chaque nom cité figurant sur le monument aux morts vous réveillait de votre torpeur, tandis que le sous-préfet, dégoulinant de pluie, attendait des jours meilleurs.

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Société de musique de la Tourlandry, dans le Maine

C’est que la liste était longue de tous ceux tombés au champ d’honneur, sans compter les fratries dévastées, les cousinages emportés et les proches éparpillés sous un obus. Et on ne se contentait pas de réciter les noms et les prénoms : citations, médailles et date de la mort rendaient chaque sonnerie plus retentissante encore, surtout lorsque le métayer des bois éclaircis accompagné du garde-pêche trempé apportaient leurs cors de chasse pour porter jusqu’au ciel le nom d’un disparu qui ne reviendrait pas même après que les notes de musique eussent tambouriné à la porte du paradis, au milieu des nuages.

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La musique de Gonnord devant le château

Et puis, il arrivait que la fanfare accompagne pour son ultime voyage une personnalité du village. C’était alors pour l’orchestre à pied le moment inoubliable de rappeler à tous les villageois regroupés derrière le corbillard qu’il était temps que le conseil municipal accordât à l’harmonie la subvention tant attendue pour remplacer la grosse caisse du père Léon et surtout la trompette de l’oncle Ferdinand qui, depuis qu’il n’avait plus que trois doigts, avait bien du mal à jouer du piston.

Et c’est ainsi que la fanfare à chaque enterrement d’un maire fermier qui n’avait pas démérité, d’un conseiller général propriétaire terrien qui avait réussi l’exploit de ne rien faire tout un quart de siècle, d’un résistant sabotier qui avait repris le flambeau à la Libération, ou bien mieux encore, d’un illustre vainqueur de Verdun, et bien cette fanfare sans même s’en rendre compte, traînait en musique grinçante et trébuchante, dans la désespérance des rues boueuses,  tout un village vers la destination finale de chacune des personnes composant le cortège, ce cimetière aussi sinistre qu’un tombeau d’illusions clairsemées, celui de tous ces paysans qui savaient ne pouvoir donner pour avenir radieux à leurs enfants que le béton damné de la fosse commune des HLM des villes, qui vous achevaient de vivre.

La Roseraie reconnu comme la cité la plus dangereuse d'Angers

Quartier de la Roseraie à Angers, architecture monstrueuse des années 60 destinée à accueillir les enfants de l’exode rural, devenu  aujourd’hui « quartier sensible » ghettoïsé après que les petits-fils de paysans aient déménagé en zones péri-urbaines pour être fustigés par les néo-ruraux boboïsés.

Et maintenant que tous ces filles et fils de paysans ont plus ou moins viré Gilets jaunes ou, pour ceux qui ont réussi,  joyeux écolos dans les agglomérations revitalisées, regardez à quoi ils ressemblent par rapport à leurs aïeux qui savaient défiler, on aurait honte à leur place !

De plus, ils n’ont pas le respect de la botte de foin pour laquelle tant de leurs ancêtres sont morts de fatigue, sous leur tracteur ou dans une grange un soir d’immense solitude. Ils ne savent même plus à quoi peut servir le foin, s’y rouler, s’enrouler et bien plus si affinités !

 Maintenant que nous en avons enfin terminé avec la fanfare des jours de pluie, un peu de musique des Beatles pourrait faire du bien à tout le monde.  Et zut, voilà une fanfare, celle du Club des coeurs solitaires du sergent Poivre. Décidément, on n’y échappe pas, pas plus que les Beatles car comment vivre sans eux quand on est tombé dedans tout-petit ?

Disque vinyle The Beatles - Sergent Pepper's Lonely Heart Club Band -  maPlatine.com

What a Wonderful jour de fanfare

Une réflexion sur “Jours de fanfare dans le Haut Anjou

  1. DELABRECHE 7 Mai 2015 / 8 08 00 05005

    aussi pour aller dans ce sens : très beau reportage vu hier soir sur FR3 sur cette région, et en particulier les habitations troglodytes, et le survol de cette belle région

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