Humérus Skeleton

Conformément aux engagements pris par la C2WC, marque déposée au fond du couloir à gauche, la Cervieres.com World Company a engagé un commissaire aux comptes, Humérus Skeleton, pour communiquer officiellement chaque mois les résultats de l’entreprise conduite par le maestro virtuel. Par prudence, la mission a été confiée à un cabinet grec spécialisé en données approximatives, falsifiées ou  enterrées, qui a fait ses preuves auprès de la Troïka et qui, comme son nom l’indique, est un auditeur financier adepte de Polka, Cha-cha-cha et Mazourka endiablées. Même si les chiffres ne sont précis qu’à quelques dizaines de milliards d’euros près, l’essentiel est de participer en retenant la méthode chère à Georges Lautner du Laisse aller… c’est une valse. Et puis, ce n’est pas parce qu’on est fauché qu’on ne planque pas le magot.

A ce petit jeu, Humérus Skeleton est le meilleur, un as du caveau fiscal. Il a ses entrées chez les Suisses et au Vatican, dans la crypte aux troncs, il n’ignore rien de Monaco et du Luxembourg. Malte, Chypre, l’ïle de Man sont ses destinations de fin de semaine favorites ; et l’été il fait des croisières aux Antilles, débarquant dans chaque port avec une prédilection pour l’île de la Tortue, et les Caïmans bien sûr, en tant qu’historien patenté de la piraterie. D’ailleurs, c’est son surnom, le boucanier des anses. Croyez-moi, il s’y connaît en paradis fiscal, tout y est détenu car tout est en retenue : pas de TVA, pas d’impôt sur les sociétés, rien en IRPP ou en ISF. Sa technique est simple, il ne déclare rien, ni au manchettes du fisc ni aux casquettes du douanier, tout est virtuel, le bitcoin, le cloud, et même les salariés. Comme le disent les entrepreneurs français, I make a dream ! C’est Gilles le Gabelou qui en est tout marri de voir disparaître ces patentes !

Gilles, peinture à l’huile d’Antoine Watteau, 1718-1719, Musée du louvre Paris 

D’ailleurs, je croise rarement Skeleton, il est toujours par îles et archipels, entre deux avions. Afin de le voir, je dois aller enregistrer ses bagages pour qu’il gagne du temps, mais en contrepartie, je bénéficie de ses conseils avisés : oublie le Luxembourg et Singapour, c’est mal fréquenté, trop de gagne-petits qui font dans l’esthétique ou l’ostéopathie, prends modèle sur l’oligarque du Kremlin ou le bédouin du golfe, Jersey et Vierges sont les nouvelles madones. Attention aux Caïmans, balance tout à Grenade. Et avec tous ces conseils, j‘en profite pour placer l’oseille de l’oncle du Panama aux Grenadines, après tout ce ne sont que les sous de la tirelire de mon enfance et le bas de laine de mon arrière grand-mère placé en emprunts russes.


Si, pour établir les comptes, je ne peux guère m’appuyer sur Humérus Skeleton qui voyage en première classe tous les jours que Dieu fait, en revanche il m’a délégué l’un des deux cent six associés de son cabinet d’audit. Car figurez-vous que cet original a inscrit dans les statuts que le cabinet pouvait comporter autant d’associés que d’os du corps humain, un clin d’oeil à ses origines. En plus, il exige que ses auditeurs changent de prénom et de nom pour être intronisés : acheter des parts ne suffit pas, il faut avoir un os à ronger. C’est donc Iliaque Tibia du Péronez qui procède à l’arrêt des comptes trimestriels. Parfois il vient avec Sacrum Coccyx pour les comptes semestriels, et toujours avec Mandibule Zygomatique pour les comptes annuels. Je ne vous raconte pas l’ambiance dans les couloirs.

C’est qu’ils sont très farceurs nos commissaires aux comptes. Toujours au four et au moulin pour faire des plaisanteries.  L’autre jour, Tibia du Péronez est venu avec son chien, un pitbull savant qui compte avec les crocs.  A la comptabilité, ils ont tout de suite retrouvé tout ce qui avait été passé en pertes et profits, même les cigares partis en fumée.

Et l’autre soir, à la tombée de la nuit,  l’un des associés est devenu tout bizarre. Il a semé la panique, surtout quand il appelé un collègue qui traînait dans le quartier, ce n’est pas qu’il était désagréable mais il fumait du tabac à l’odeur nauséabonde. On a été obligé d’ouvrir les fenêtres en plein hiver au soixante deuxième étage de la Towering Inferno, en cassant une vitre car tout l’étage est climatisé à l’amiante. Et comme il sévissait une bourrasque de neige, le lendemain matin, on a été obligé d’appeler une déneigeuse qu’il a fallut démonter pièce par pièce pour la monter par l’ascenseur. C’est la petite africaine, l’hôtesse d’accueil de la direction, qui n’était pas contente, on lui a saccagé le mobilier de l’un de ses quatre étages.

A ce propos, c’est à cette occasion que j’ai fait plus ample connaissance avec elle, l’hôtesse d’accueil, en maniant la pelle et la pioche pour enterrer l’un des associés de Skeleton. Il faut dire qu’ils étaient venus en nombre. Il y en avait un que tous surnommaient Elephant Man pour ses grandes capacités modulatrices en erreurs et omissions ; et un autre dénommé Tyrannosaurus rex pour son caractère comptable préhistorique.

       

Personne ne sait très bien comment ils en sont venus à se battre, il semble qu’ils n’étaient pas d’accord sur les méthodes de déduction des frais généraux. Ces frais généraux, c’est toujours un compte à complication. Les justificatifs de remboursement perdus, les frais kilomètriques, les cadeaux de fin d’année, les places de théâtre au Pigalle Circus, rien de simple surtout quand on vous présente la facture d’un bouchon de champagne à mille euros qui correspond à une nuit arrosée pour la signature d’un contrat. C’est pas le prix du bouchon qui est choquant, c’est le fait de faire passer du mousseux insomniaque pour du champagne festif. T-Rex n’a pas apprécié que l’on se moque de lui, Elephant man lui a dit de laisser tomber. Et voilà que l’on retrouve les deux experts comptables en Grand charivari, pour reprendre les paroles de la chanson du Bossu de Notre Dame :

Tous les ans, nous fêtons cet évènement,
Tous les ans, Paris est en chambardement.
Les manants sont rois, les rois sont clowns et rient,
Dans Paris, c’est Grand 
charivari.

Question évènement et chambardement, les manants ont été rois. Le chef des auditeurs est arrivé, il leur a fait la fête aux clowns. On a retrouvé les osselets éparpillés par petits bouts façon Puzzle, aux quatre coins de Paris.  Faut pas trop lui en faire au Grand charivari, l’expert en audition, lui aussi sait correctionner, dynamiter et disperser.

C’est ainsi qu’au petit matin, je me suis retrouvé à chercher les osselets perdus,  cela a demandé pas mal de temps, mais heureusement j’avais un mode d’emploi que je n’oublie jamais de prendre les jours de rendez-vous avec mes amis auditeurs de chez Humerus Skeleton, ce n’est pas la première fois, que je tombe sur un os à tremper dans les comptes trompeurs.
Human Skeleton Drawing Human skeleton drawing

Et me voilà dans les travaux manuels d’excavation ! Je creuse une tombe.  Avec l’hôtesse, je range proprement tous les os que l’on a retrouvés d’Elephant man et de T-Rex, de quoi ne faire qu’un seul squelette hélas. On n’a même pas recherché le second crâne, il paraît qu’il est parti dans la benne à ordures.

Mais au moment de placer les dalles de ciment du caveau funéraire improvisé, voilà que l’Africaine exige une prière.  Elle veut réciter le psaume  23, un cantique de David. Je la laisse faire, d’ailleurs je n’ai pas le choix, elle me passerait sur le corps plutôt que de fermer une sépulture sans rite inhûmoristique. Je l’écoute :

L’Eternel est mon berger: je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme, Il me conduit dans les sentiers de la justice, A cause de son nom. Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car Tu es avec moi: ta houlette et ton bâton me rassurent. Tu dresses devant moi une table, en face de mes adversaires; Tu oins d’huile ma tête, et ma coupe déborde. Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison de l’Eternel jusqu’à la fin de mes jours.

Là, je reconnais que la petite africaine m’épate. Déjà qu’elle courait vite dans les escaliers entre le soixantième et le soixante quatrième étage, Mais, improviser de mémoire une prière avec le cantique de David, j’hallucine terrible. Comment s’appelle-t-elle, lui demandé-je. – Abyssinia, me dit-elle. Je l’observe et remarque qu’elle est loin d’être si petite que celà. Elle est bien plus grande que moi. Pourquoi faut-il toujours dire une petite africaine alors qu’elles sont souvent bien plus grandes que vous ? Je  lui demande encore si elle vient d’Ethiopie. En quelque sorte, me repond-elle. Je la regarde, et soudainement je comprends mieux ses exploits pédestres. C’est une Marathon Woman, comme on dit chez nos amis anglais, ils ont cela dans le sang en Ethiopie, ils raflent toutes les médailles depuis des décennies en courses de fond, cross-country et marathon.

Au moins un mystère de lever ce jour, alors que je m’aperçois avoir conservé dans la poche de pantalon des os de la main de l’un des experts comptables, cinq au total : l’hamate et le capitate, le trapézien et le lunate, et enfin l’os triquetral.

– Cela vous dirait de jouer aux osselets, demandé-je à Abyssinia. Celui qui gagne, garde les osselets.

– Pourquoi pas ? Mais tenez plutôt, c’est pour vous,  me dit-elle en me donnant cinq cartes de jeu. je vous les échange contre les osselets.

– Qu’est-ce que c’est  ?

– Trois fois rien, des cartes de Vie. Ne les perdez surtout pas. Tant que vous les garderez toutes en votre possession, vous ne vieillirez pas et vous ne craindrez pas la mort. Mais à chaque fois que vous perdrez l’une d’entre elles, vous vous affaiblirez grandement, jusqu’au jour où n’ayant plus aucune de ces cartes dans votre jeu, alors votre vie sera en péril et votre mort imminente.

– Etes-vous sérieuse ?

– Ai-je l’air de ne pas l’être ?

– Non ! Mais et vous ? Qu’allez-vous devenir sans vos cartes de Vie ?

– Ne craignez rien, je cours dans les escaliers, je monte et je descends, chaque marche parcourue est une grâce qui m’accompagne tous les jours que Dieu me donne.

– Nous pourrons nous revoir ?, ai-je alors demandé à Abyssinia.

– Pourquoi voulez-vous que nous nous revoyons alors que nous n’avons même pas entamé notre partie d’osselets ? Donnez-moi le jeu. Je parie que que ce sont les os d’Elephant man.

– Et moi, ceux de T-Rex. j’ai toujours eu un faible pour la préhistoire, les grottes, les troglodytes, débusquer le smilodon populator, Voir Lascaux et mourir.

– Au fait j’oubliai, ajouta Abyssinia. Il manque une carte dans ce jeu, la sixième et dernière carte qui vous assure une sorte de droit à l’éternité si vous la retrouvez.

– Avez-vous une idée de l’endroit où la trouver, demandai-je sans conviction.

– Quelque part là où la mer se mêle au soleil, du côté du désert de sel, vers les Monts de la lune.

– On ne peut être plus précis !

 Laura James Religious Art (In Ethiopian Style) MYSTERY and MEANING: ETHIOPIAN ORTHODOX ICONS MYSTERY and MEANING: ETHIOPIAN ORTHODOX ICONS ethiopian orthodox art | Theotokos Mary Mother of Christ Ethiopian Orthodox Modern Postcard MYSTERY and MEANING: ETHIOPIAN ORTHODOX ICONS