Voilà que les valeureux Gaulois qui firent trembler Rome se réveillent, tout au moins à travers leur histoire redécouverte. Nous avions appris avec Boris Vian qu’ils habitaient des huttes en bois, et que les druides, trois par trois, sous le gui chantaient à pleine voix ; nous avions fait aussi confiance au victorieux César qui leur avait rendu un vibrant hommage dans le livre VI de la Guerre des Gaules ; mais désormais, avec les progrès de l’archéologie, nous savons que ce peuple n’est plus seulement celui de Vercingétorix vaincu, et encore moins celui d’une civilisation dont les connaissances se limiteraient à ce fameux village gaulois résistant toujours et encore à l’envahisseur.
Pièce en or, tribu des Parisii
Car avant d’être colonisés par les Romains, Les Gaulois furent d’abord des colonisateurs qui n’hésitèrent pas à s’installer jusqu’en Asie mineure, un fait passé sous silence qui renverse toutes les perspectives concernant un peuple formidablement guerrier et redouté mais aussi commerçant et esthète comme en témoignent d’innombrables vestiges archéologiques. On n’en comprend que mieux pourquoi la conquête de la Gaule par César est saluée comme un moment décisif de l’histoire de Rome. Sans la disparition de cette menace et l’intégration des Gaulois dans l’Empire romain, Rome n’aurait jamais été Rome, et n’en déplaise à Blaise Pascal, toute la face de la terre en aurait plus sûrement changé de cours que si le nez de Cléopâtre eût été plus court (Pensée 162).
Peuples gaulois lors de la conquête par César (-58 à -52 avant J.-C.)
La place de la Gaule dans l’histoire de la France et du monde interroge toute notre façon de concevoir l’histoire et son apprentissage lorsqu’il se réduit seulement à l’écrit. L’histoire du monde est celle de l’écrit et des vestiges. Malheur aux civilisations orales qui ne laissent aucune trace écrite ou ruines, comme la civilisation gauloise ou celle des peuples africains dans leur histoire ancienne. L’absence directe de textes ne signifie pas pour autant l’inexistence d’une histoire, comme le montrent toutes les découvertes archéologiques depuis quarante ans qui ont totalement transformé notre regard sur nos ancêtres les Gaulois bien plus évolué et civilisé pour reprendre ce terme galvaudé.
L’histoire de la France ne commence pas en juin 1940, sous la Révolution française, à la Renaissance, Charlemagne, Clovis ou la conquête de la Gaule par Jules César. Elle ne se limite pas aux champs restreints de la collaboration puis de la résistance, de la colonisation puis de la décolonisation, du christianisme puis de la déchristianisation, sans oublier les grandes découvertes et l’esclavagisme qui ne sont pas des événements proprement français mais des faits au retentissement mondial.
La Gaule lors de la fondation de Paris en 250 avant J.-C.
L’histoire du territoire français est liée à des peuplements forts anciens comme en témoignent les innombrables grottes découvertes en Dordogne ou en Ardèche, et toute son histoire est celle de peuplements successifs, par vagues entières d’immigration mais aussi d’émigration, vagues qui continuent de nos jours inexorablement, car le déplacement des peuples est par nature l’histoire du monde depuis que Lucy, et ses ancêtres méconnus, ont vu le jour.
Casque gaulois
Mais à trop vouloir calquer l’histoire de la France sur l’hexagone correspondant au mythe des frontières naturelles dans une perspective de récit national entretenu depuis la Révolution française, dont le manuel d’histoire de France racontée aux enfants par Grévisse en est d’ailleurs la parfaite illustration, on a ignoré l’essentiel s’agissant de la Gaule, l’histoire méconnue d’une brillante civilisation qui n’a jamais eu de récit linéaire comparable à celui des Grecs ou des Romains, les Gaulois ayant toujours été présentés comme d’indignes auxiliaires des « civilisés ». C’est ainsi d’ailleurs que l’article de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert consacré aux Gaulois conclut en appliquant à ces « barbares » la formule de Voltaire : il faut détourner les yeux de ces temps horribles qui font la honte de la nature.
Article sur les Druides, dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
Pourtant, aujourd’hui que l’archéologie apporte de nombreuses réponses sur ces Gaulois, prétendu peuple barbare, il serait temps d’oublier l’appréciation portée par Voltaire d’une « honte de la nature » et d’écarter les raccourcis de multiples historiens qui ont passé leur temps à regrouper Gaulois et Germains sous une dénomination fantaisiste, les Celtes, cette nation idéologique imaginaire, présentée comme les ancêtres de tous les Européens. Tous les Européens ne sont pas plus Celtes que les Africains ne sont un peuple unique.
Restituons à César ce que l’on doit à César. C’est depuis la publication en 51 avant J.-C. du De Bello Gallico, la Guerre des Gaules, publication redécouverte en 1451 à l’occasion de sa traduction, que les Gaulois sont ressortis de l’ombre, ignorés ou presque pendant 15 siècles alors que de nombreux auteurs antiques entre -500 et -100 avant J.-C. les mentionnaient, souvent avec effroi. César ayant décrit les Gaulois comme des peuples puissants et ingénieux, partiellement civilisés sous la conduite de leurs druides, restaient à reconstituer leur généalogie historique en l’absence de documents écrits.
Et c’est là que tout se complique ! Qui sont ces foutus Gaulois qui peuplent la Gaule avant la conquête romaine et que Michelet dans son histoire de France appelle après la conquête, en un génial raccourci, les Gallo-Romains, concept qui n’a jamais existé que dans les livres d’histoire pour faire croire à la naissance d’une civilisation associant à parts égales les vertus romaines et gauloises, jusqu’à l’arrivée de ces épouvantables barbares germains qui auraient mis fin à un monde idyllique, édifié de thermes, aqueducs et routes pavées.
Casque celte, 4ème siècle avant J.-C.
Heureusement, un Grec permet de nous y retrouver. Si les Grecs sont plutôt nuls en économie sauf pour échapper à l’impôt où ils excellent, faut reconnaître qu’en mythologie, en géographie et en histoire, surtout en histoire ancienne, ils sont remarquables et qu’il n’y a pas qu’Hérodote. Il y a Poséidonios d’Apamée aussi.
Ce Grec savant est un philosophe et historien de la première moitié du IIème siècle avant J.-C. qui a eu la bonne idée de voyager en Gaule et de consacrer un volume de ses récits historiques à la Gaule. C’est en lisant son histoire de la Gaule que César va préparer la conquête de « Toute la Gaule » », une formule empruntée à Poséidonios qui recouvre les trois entités participant, en un lieu consacré, à l’assemblée annuelle des druides : les Celtes, les Belges et les Aquitains. Ces assemblées n’ont pas qu’une vocation spirituelle, elles sont aussi destinées à régler les conflits entre les peuples et les différends entre particuliers ce qui prouve l’existence d’une unité politique malgré les divisions tribales.
Table gauloise reconstituée
Ces rencontres druidiques au pays des Carnutes, entre Chartres et Orléans, témoignent en effet d’un espace unifié aux limites géographiques connues, à un moment donné qui précède l’invasion romaine. Mais cela ne résume en rien toute l’histoire de la Gaule et des Gaulois que l’on retrouve en Gaule transalpine, en Grèce et dans l’Orient méditerranéen, jusqu’au Pont-Euxin envahi par des Galatoï en 300 avant J.-C. et qu’on appellera Galates, ces mêmes Galates évangélisés par Saint Paul au premier siècle de notre ère.
Druide gaulois dansant avec des serpents, Mavilly, France
L’histoire des Gaulois ne pouvant se réduire à la lecture des aventures d’Astérix et d’Obélix, pas plus que le latin à des citations, nous reviendrons régulièrement sur ce sujet, l’absence de récit linéaire incitant à redécouvrir un peuple méconnu dont l’histoire abuse en clichés et généralités.
Astérix et Obélix, dessin d’Uderzo
Les lettres d'ivoire 